dimanche 29 juillet 2007

Sarkozy l’Africain fait grincer des dents


Nicolas Sarkozy et Omar Bongo le 27 juillet à Libreville (Gabon)


Chanson composée spécialement pour lui, honneurs militaires, foule des grands jours agitant de petits drapeaux français : le président du Gabon Omar Bongo, qui avait tant désiré la visite de son homologue français, a réservé un accueil royal, vendredi à Libreville, à Nicolas Sarkozy. La chaleur des Gabonais, même orchestrée par le pouvoir, a dû lui mettre du baume au cœur.

Au lendemain d’une étape ratée au Sénégal, la presse de Dakar n’a pas été tendre avec le chef de l’Etat français. Son adresse aux «jeunes d’Afrique», prononcée à l’université Cheikh Anta Diop, est mal passée auprès des principaux intéressés. Elle a été qualifiée d’ «injure» par le quotidien Sud. «Les jeunes Sénégalais attendaient tout autre chose qu’un cours magistral sur la colonisation et le malheur africain», déplore Fatou, une journaliste d’une radio dakaroise.


Nicolas Sarkozy et Abdoulaye Wade

Dans un discours historico-philosophique, Nicolas Sarkozy s’est employé à reconnaître les «torts» de la colonisation pour mieux inviter les Africains à se tourner vers l’avenir. Sa réflexion, parsemée de jugements péremptoires sur «l’Africain» qui doit «entrer davantage dans l’histoire», autrement dit accepter le progrès, a autant surpris que heurté les sensibilités à Dakar. «Jamais [l’Africain] ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin», a dit le Président dans un discours rédigé par le conseiller spécial Henri Guaino.
Un proche du président justifie la parole présidentielle : «Nicolas Sarkozy n’est pas venu dire aux Africains ce qu’ils ont envie d’entendre. Vous vouliez qu’il fasse un discours de sous-secrétaire d’Etat aux affaires africaines ? Il a livré sa vision du continent et indiqué ce que nous pouvions faire ensemble.»
Mais aux yeux des Sénégalais, Nicolas Sarkozy, qui affirme rejeter un «paternalisme [.] qui a fait beaucoup de tort à la relation entre la France et l’Afrique», a donné l’impression inverse : celle du «grand chef blanc» venu asséner ses vérités aux «petits frères» africains. Interrogé à Libreville par la presse sur les critiques de la presse dakaroise, Sarkozy a assumé ses propos : «On ne peut pas tout mettre sur le compte de la colonisation. La corruption, les dictateurs, les génocides, ce n’est pas la colonisation.»


Immigration concertée. Finalement, c’est à travers le prisme économique et financier que le président Sarkozy a été le plus à l’aise pour aborder un continent qu’il connaît peu. Outre la réaffirmation de sa conception de l’immigration «concertée», le chef de l’Etat a assuré que la France ne pouvait que se réjouir de l’arrivée de nouveaux concurrents, tel que la Chine, pour autant que «les règles soient les mêmes pour tous».
La dernière étape de son voyage, au Gabon, lui a donné l’occasion d’évoquer les questions de développement durable, lors de la visite d’une forêt à la périphérie de Libreville. Le président a annoncé que 50 millions d’euros de la dette gabonaise seraient convertis en investissements pour la gestion durable des forêts.
Au Gabon, le bois représente le deuxième secteur économique, derrière le pétrole. Un or noir qui, avec l’aide d’Elf, aurait dû propulser le pays d’Omar Bongo au rang d’émirat de l’Afrique. Mais il n’en a rien été. Pour se rendre dans la forêt de la Mondah, les présidents Sarkozy et Bongo ont pris l’hélicoptère afin de contourner une route truffée d’ornières.
Nicolas Sarkozy n’aura passé que quelques heures au Gabon, au grand dam de Bongo, qui souhaitait le voir passer au moins une nuit sur place. Comme à Dakar. Visiblement, le président français ne voulait pas s’attarder chez son hôte qui incarne à lui seul une relation franco-africaine d’une autre époque.

Thomas Hofnung (Libération du 28 juillet)

Sarkozy préfère le Gabon au Cameroun

Dakar a été opportunément choisi par Nicolas Sarkozy pour indiquer sa vision de la politique africaine de la France et préciser les projets français en matière d’aide au développement. Aux côtés de son homologue Abdoulaye Wade qui est fier de l’accueillir, Nicolas Sarkozy va peut-être expliquer ce qu’il entend par ”rupture dans les relations franco-africaines”.

La politesse au doyen

Le voyage à Dakar survient dans un contexte particulier au Sénégal. Le scrutin présidentiel controversé de février et les législatives boycottées par l’opposition ont créé un climat de tension et de suspicion au sein de la classe politique sénégalaise. C’est donc une véritable aubaine pour le chef de l’Etat sénégalais de recevoir la visite du président la république française dans un tel contexte.

La visite de Nicolas Sarkozy peut être interprétée comme un témoignage à la fois d’approbation et d’amitié pour le dirigeant sénégalais auquel des détracteurs soupçonnent des visées monarchiques et dynastiques.

Le voyage vendredi de Nicolas Sarkozy au Gabon pourrait être perçu par Omar Bongo comme également une marque d’amitié, mais aussi le témoignage de son importance en Afrique centrale. Il est certain qu’Omar Bongo Ondimba n’aurait pas apprécié que son homologue français se rende, par exemple, à Yaoundé, au Cameroun avant l’escale de Libreville.
Nicolas Sarkozy qui, il faut le rappeler, a reçu auparavant le chef de l’Etat gabonais au palais de l’Elysée, au lendemain de son élection et de sa prestation de serment, rend tout simplement la politesse au doyen des dirigeants africains un peu émoussé et choqué par la justice française. Laquelle a ouvert, le 18 juin, une enquête préliminaire sur ses biens immobiliers en France. Le président gabonais a dit toute sa colère à l’Elysée.

On se demande si le choix du Gabon dans le second périple africain de Nicolas Sarkozy n’a pas intégré cette donnée. Car, une visite d’amitié et de coopération, surtout la toute première dans une sous-région, n’est pas le fruit du hasard. A n’en pas douter, la visite du chef de l’Etat français au Gabon obéit à plusieurs critères dont la considération pour Omar Bongo Ondimba qui revendique quarante ans de pouvoir (1967-2007) et compte briguer un autre mandat en 2012, si Dieu lui prête vie !

A quelque chose près, ce périple africain de Nicolas Sarkozy ressemble à celui effectué en 1995 par son prédécesseur à l’Elysée. A la seule différence que l’étape ivoirienne n’a pas été programmée, pour cause de crise politico-militaire.

A quand la visite au Cameroun ?
On se rappelle pourtant la célérité avec laquelle le président Paul Biya avait adressé ses félicitations à Nicolas Sarkozy. Une lettre qui occupait d’ailleurs l’essentiel de la manchette de Cameroun Tribune n° 8844 du mardi 8 mai 2007 : ”Monsieur le président élu de la république française, par un vote massif et sans équivoque, vous venez d’être porté à la tête de la France (…) Votre brillante victoire et la confiance placée de la sorte en vous par le peuple français, témoignent incontestablement de la grande estime qu’il vous porte mais aussi de son entière adhésion aux idéaux, aux espérances et au programme politique que vous incarnez et entendez mettre en œuvre (…) En cette circonstance qui vous honore grandement, il m’est très agréable de vous adresser mes plus vives et chaleureuses félicitations (…) La France et le Cameroun sont unis (…) par des relations d’amitié et de coopération solides, multiformes et mutuellement bénéfiques (…) je souhaite vivement qu’ensemble, nous puissions œuvrer à leur renforcement continu, pour le plus grand bien des peuples français et camerounais amis (…)”. Signé Paul Biya (voir photo)


Cette si belle lettre n’a pas empêché que Nicolas Sarkozy effectue son premier voyage d’Afrique centrale au Gabon. Omar Bongo Ondimba a damé le pion à Paul Biya qui avait pourtant placé son message de félicitations au premier plan. Il avait relégué au second plan sa lettre de condoléances aux familles des victimes du crash du Boeing 737-800 de Kenya Airways publié tardivement.

Paul Biya et les éléctions du 22 Juillet
(voir article du 28 juillet sur le blog)

Françafrique : les “signaux contradictoires” de Sarkozy

L’association Survie , fondée par feu François Xavier Vershave, trouve que le président français Nicolas Sarkozy “ a émis des signaux trop contradictoires ” depuis son entrée en fonctions à l’Elysée. “ Survie ” rappelle que Nicolas Sarkozy avait promis que “ nous ne soutiendrons ni les dictatures, ni les pays dirigés par des régimes corrompus ”.

D’un côté, selon Survie , beaucoup d’observateurs décèlent déjà chez Nicolas Sarkozy un attachement moins marqué pour l’impunité des acteurs de la Françafrique.
D’autre part, l’association rappelle que la plainte de trois associations pour recel de détournement de biens publics, visant le patrimoine immobilier des chefs d’Etat africains, a débouché sur l’ouverture, le 18 juin, d’une enquête préliminaire, “ au grand dam des présidents gabonais et congolais ”.
L’autre signal fort pour Survie est l’abandon de la thèse officielle du suicide juge Borrel, à Djibouti, en 1996, doublée de perquisitions chez Michel de Bonnecorse, l’ancien responsable de la cellule Afrique de l’Elysée.
Mais, de l’autre côté, Survie trouve que les allègements de dette exceptionnels accordés récemment au Gabon relativisent le propos. Et de s’interroger : “ Le renforcement de l’équipe Afrique de l’Elysée peut-il laisser émerger les nécessaires contre-pouvoirs parlementaires et citoyens sur les sujets aussi sensibles que les interventions militaires ou les quitus électoraux au Togo ou au Tchad ? ”
Survie trouve aussi ambiguës les relations entre Nicolas Sarkozy “ et des chefs d’Etat à nos yeux infréquentables ”. “ Alors qu’il laisse s’ouvrir une enquête concernant Denis Sassou Nguesso et Omar Bongo, le président français multiplie les signes d’amitié envers eux. ”
L’on en veut pour preuve le fait que, juste après son élection, il ait appelé Omar Bongo pour l’informer de sa victoire et le remercier pour ses “ conseils ”.
Edmond Kamguia K

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