jeudi 26 juillet 2007

Sarkozy visite son ami Kadhafi


Le Président a été reçu par le colonel, son nouveau «partenaire stratégique»
Par Thomas Hofnung (Libération)




Parole contre parole. Invité à Tripoli par le colonel Kadhafi, Nicolas Sarkozy avait posé une condition non négociable avant d’accepter : la libération des cinq infirmières et du médecin bulgares détenus depuis plus de huit ans dans les geôles libyennes. Aussitôt fait, le président français a débarqué, hier, dans la capitale libyenne, pour une visite d’Etat de quelques heures, avant d’aller au Sénégal aujourd’hui et au Gabon demain. Au pied des ruines d’un bâtiment bombardé en 1986 par l’aviation américaine et conservé en l’état, Nicolas Sarkozy a été accueilli - sans chaleur - par un «guide de la révolution» fantomatique, vêtu d’un costume blanc, les yeux dissimulés par d’épaisses lunettes noires. A l’issue d’une courte cérémonie, le chef de l’Etat français a inscrit ces quelques mots sur le livre d’or déplié au milieu des décombres : «Je suis heureux d’être dans votre pays pour parler de l’avenir !»

«Nucléaire». Dans la saga tourmentée des relations entre la France et la Libye, marquée par le conflit au Tchad dans les années 80 et l’attentat contre le DC10 d’UTA en 1989 au-dessus du Niger, l’Elysée veut - selon un conseiller du Président - ouvrir «une nouvelle page». Une expression vague, mais qui reflète bien l’esprit de ce court déplacement en Libye : l’ancien Etat-voyou, incarnation jadis du terrorisme d’Etat, est redevenu fréquentable. Mieux, il est, affirmait récemment le porte-parole de l’Elysée, un «partenaire stratégique» de la France. Nicolas Sarkozy n’est pas le premier chef d’Etat français à s’être rendu en Libye. Jacques Chirac l’avait précédé, en novembre 2004, après que Tripoli eut apuré son contentieux avec les Occidentaux sur les attentats de Lockerbie (1988) et du DC10 d’UTA, et annoncé l’abandon de tout programme nucléaire militaire. Mais l’affaire des infirmières et du médecin bulgares bloquait jusqu’à mardi la normalisation définitive des relations avec les Européens.
Hier, Paris et Tripoli ont paraphé un «accord cadre» de ­partenariat sur les questions migratoires, culturelles, de coopération économique et commerciale. ainsi qu’un «mémorandum d’entente sur la coopération dans le nucléaire civil», qui prévoit la fourniture d’un réacteur nucléaire pour permettre à la Libye de désaliniser l’eau de mer. Mais point de nouveaux contrats pour les entreprises françaises : il aurait été sans doute indécent de vouloir profiter d’un «effet infirmières». Ce n’est que partie remise. En obtenant la libération des otages bulgares au nez et à la barbe des Britanniques et des Allemands, très investis dans ce dossier, «Sarkozy a remis les Français dans le jeu en Libye», juge l’analyste François Heisbourg.

Coopération. Sixième partenaire commercial de la Libye derrière l’Italie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France souhaite combler son retard. Une trentaine d’entreprises tricolores se sont déjà implantées en Libye depuis la levée de l’embargo de l’ONU en 2003. D’autres pourraient prendre rapidement le chemin de Tripoli, dans le sillage de la nouvelle lune de miel franco-libyenne. Outre ses alléchantes réserves en pétrole et en gaz, la Libye veut en effet développer ses infrastructures routières, ses complexes hôteliers, rénover ses sites archéologiques ou encore se doter d’un nouveau réseau d’adduction d’eau. «Autant de domaines où nos entreprises ne sont pas forcément les plus mal placées», se félicite un conseiller de Sarkozy. Mais Paris a des raisons supplémentaires de cajoler Tripoli. Depuis les attentats du 11 Septembre, Kadhafi a amorcé une coopération fructueuse et précieuse avec les services secrets occidentaux. Hier, les deux pays ont d’ailleurs signé une déclaration évoquant le dévelop­pement de leur coopération en matière de défense. L’aide du «guide de la révolution» est également indispensable pour tenter d’endiguer les vagues de migrants clandestins qui s’échouent, quand ils n’en meurent pas, sur les rives de Malte ou de la Sicile.
Le président français a également besoin du soutien de Tripoli pour tenter de mener à bien son projet d’Union méditerranéenne, évoquée dès le soir de son élection, le 6 mai. Enfin, Tripoli dispose d’une influence non négligeable sur un continent africain que le colonel Kadhafi portait symboliquement sur son cœur, hier, sous la forme d’un badge épinglé sur la poitrine. Son pays partage des frontières avec le Soudan, mais aussi avec le Tchad, où Paris veut déployer une force européenne pour favoriser le retour des déplacés tchadiens. Là encore, l’accord de Kadhafi, très influent à N’Djamena, sera indispensable.





Les concessions à la Libye choquent la presse européenne

La presse européenne s'indigne des concessions faites à la Libye après la libération mardi des six Bulgares, une affaire dans laquelle, s'agace-t-elle, le couple présidentiel français a volé la vedette à l'Union européenne.


Nombre de journaux dénoncent en outre les conditions, "peu claires" souligne au Portugal Diario de Noticias, dans lesquelles est intervenu ce dénouement, disant ne pas croire un instant que l'Union européenne n'a pas apporté en contrepartie son obole. La Libre Belgique insiste ainsi sur "la rançon qui ne dit pas son nom" et que l'UE a versée à un Etat "assis sur d'importantes ressources pétrolières" et son compatriote De Standaard va jusqu'à écrire que "l'affirmation de Nicolas Sarkozy selon laquelle l'UE n'a rien payé est la trouvaille diplomatique de l'année".


"L'UE récompense les crimes de Kadhafi", réagit, plus crûment encore, le quotidien danois Berlingske Tidende, pour qui "le crime paie toujours, en tout cas si on s'appelle Mouammar Kadhafi et qu'on est le maître absolu d'un pays avec du pétrole sous le sable du désert, et avec potentiellement un marché très prometteur à la frontière de l'UE".


D'autres, à l'instar du Handelsblatt, tirent carrément à boulets rouges sur le couple présidentiel français. Les époux Sarkozy "se mettent en scène, prennent des poses de héros, comme s'ils avaient été les seuls sauveurs des victimes", même si, du point de vue du président français, "d'autres intérêts sont en jeu : il veut vendre des marchandises contre du pétrole et du gaz, et se présenter ensuite comme un grand diplomate, qui réussit à ramener la Libye de Kadhafi sur le chemin de l'Europe", analyse ce quotidien allemand.
Et l'italien La Repubblica de considérer que "le président Sarkozy et sa femme Cécilia, selon l'opinion de beaucoup, se sont introduits dans l'affaire libyenne, en réclamant la gloire a posteriori alors qu'en réalité tout avait été décidé dans les détails depuis au moins quinze jours".


La conclusion pourrait revenir au quotidien tchèque Dnes, pour lequel "la Libye et l'Occident se sont embrassés malgré le fait que tout ce qui précédait ce grand amour n'était rien d'autre qu'un terrorisme normal"

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