mercredi 12 août 2009

Juliette Gréco: «J'éprouve une admiration sans limite pour les jazzmen»


Greco3 Juliette Gréco s'est fendue le 2 août d'un concert triomphal pour son cinquième passage aux Francofolies de Montréal. Emportée par le piano de Gérard Jouannest (son mari), et par l'accordéoniste Jean-Loup Matinier, la chanteuse, face à une salle magnétisée, a rendu hommage à Brel (5 chefs d'œuvre), à Ferré (2), à Gainsbourg (2), enfin à une flopée de compositeurs actuels. Le charme de l'ancienne compagne de Miles Davis n'a pas perdu un atome. Le traitement très personnel de chansons éternelles ("Ne me quitte pas", "J'arrive", de Jacques Brel et Gérard Jouannest; "Avec le Temps" de Léo Ferré), ses libertés avec les partitions originales, la rapprochent à la fois des slameurs d'aujourd'hui et des jazzmen éternels. J'ai voulu savoir ce que la vedette gardait comme héritage des figures du Jazz. Retour vers le temps où Saint-Germain-des-Prés tenait pour égérie la fille habillée de noir, qui voulait "transformer la souffrance en beauté" .

INTERVIEW JULIETTE GRÉCO

Bruno Pfeiffer: Plusieurs standing ovations... Quel est le secret de la pêche à 82 ans?

Juliette Gréco: Rien de compliqué. Je pratique depuis soixante ans exactement le même métier: interprète. Le spectacle, ce sont des mots, des chansons. J'essaie d'être lumineuse en servant les compositions des autres. Je me bats pour que la poésie règne dans la rue. Le public m'a renvoyé quelque chose d'extrêmement bon hier soir. Quand j'arrive à Montréal, j'ai l'impression de débarquer dans une France jeune. J'aurais voulu serrer les mains des gens qui ont afflué vers la scène pendant les rappels. Impossible: je me déplace difficilement, à cause d'un problème aux doigts de pieds.

Certaines interprétations, certaines accentuations, diffèrent nettement de l'original.

Encore heureux! Quand Brel chantait "Ne me quitte pas", il se montrait démissionnaire, pleurnichard. Je rageais! Je désapprouve son acceptation de la défaite. Ce recul me rend hors de moi. Je marque ma colère. La tonalité que j'imprime à la chanson ressort ainsi: "Tu as tort de me quitter. Tu vas voir: tu vas en baver". Cela sur la musique somptueuse de Jouannest, car je me sens davantage à l'aise sur des arpèges riches.

Vous vous inspirez du côté "improvisateur" du Jazz?

Je n'aurais jamais osé. J'aime le Jazz. Cependant, je ne cherche pas l'inspiration dans les profondeurs de cette formidable culture afro-américaine. J'insuffle une marque personnelle aux morceaux. Ce que je suis. Tout ce que je peux. Le mieux possible. En revanche, tous ceux que j'aime baignent dans cette musique. J'éprouve une admiration sans limite pour les jazzmen.

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Boris Vian ?

Quel être merveilleux! Qu'il était beau. D'une beauté physique, au premier abord, avec sa peau vert céladon. L'être le plus tendre, le plus doux, le plus attentif que j'ai rencontré. Il avait un cœur énorme. Il dégageait une finesse, une intelligence... et une férocité d'enfant. Je le considérais comme mon grand frère. Il a fait office de psychiatre. Il m'a beaucoup aidé. Efficacement. Je n'avais plus envie de parler depuis l'Occupation. Il m'a rendu la vie après la Libération. Il m'a sorti d'une prison intérieure. La pilule qu'il aurait volontairement omis de prendre le jour de sa mort? Je n'y crois pas. Il est plutôt mort de rage.

Le Déserteur?

Immense chanson. Je n'ai jamais raté une occasion de la chanter. Pourtant, on courait des risques à l'époque. Je la reprends sur la compilation produite par Olivier Nuc ("On est pas là pour se faire engueuler"), sortie en juin dernier (chez Universal). J'ai tenu quasiment à la réciter, à cause de la paix qui s'en dégage. Les analystes la font passer pour un hymne anti-militariste. Mon avis diffère. Je crois que Boris donne la parole à un humble paysan, qui ne veut pas froisser le président de la République, mais qui refuse de se faire tuer et d'assassiner les autres. On le perçoit à son langage. Le gars dit simplement "Non à la guerre. J'ai trop souffert; la guerre c'est de la merde." Le texte est d'une pureté admirable. Nuc m'avait proposé d'autres chansons inédites. Je me demande si certaines, qui lui ont été attribuées par la suite, sont de sa main de Vian. La griffe de mon Boris, je la reconnaîtrais entre mille.

C'est Vian qui vous a initié au Jazz?

Non, j'écoutais déjà à la radio des classiques comme le Lambeth Walk, avant la guerre.

Pourquoi ne pas être venue à Pleyel le 23 juin pour la célébration de l'anniversaire de sa mort? Vous auriez été la Reine de la soirée.

Tous les jeunes chanteurs présents méritaient de régner sur la soirée. Moi, tout bêtement, je n'étais pas là.

Duke Ellington?

Magnifique. Pas mon idole, toutefois. Ne me faites pas dresser un hit-parade, je mets tous les jazzmen à égalité. Sauf Miles Davis. Lui, c'est le meilleur. Je le situe tout en haut. C'est ma vie.

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Racontez-nous la rencontre avec Miles Davis.

On était très jeunes tous les deux. Il jouait à Pleyel. J'étais fauchée. La femme de Boris, Michelle Vian, m'avait fait entrer par les coulisses. J'ai aperçu ce mec de profil. Très beau visage. Il jouait soit de manière concave, soit de manière convexe. En arrière, puis en avant. Très penché. Bizarre. Je ressentais une harmonie entre le personnage, la gestuelle, et le son de la trompette. Pas besoin d'être diplômée pour ressentir qu'il jouait dans la cour des grands. On est sortis dîner en bande. Je ne parlais pas sa langue, ni lui la mienne. Et voilà... le miracle de l'amour! J'aurais pu essayer de chanter avec lui. Mais j'avais pas le goût des standards. Pourquoi, du reste, alors que de grandes vocalistes, comme Ella Fitzgerald, l'auraient fait mille fois mieux que moi?

Miles est-il venu à l'un de vos récitals?

Oui, bien plus tard, à New York. La production m'avait retenu une suite au Waldorf-Astoria. Il est venu dîner avec moi au resto en haut du building. Pour que je n'aie pas l'air d'une pute avec un Noir, il a emmené le pianiste John Lewis avec ses deux enfants. Ils ont dû traverser un calvaire dans l'ascenseur. Je ne vous raconte pas la mine défaite du maître d'hôtel quand le groupe est entré. Le garçon a mis deux heures avant de nous servir les plats, et encore, servir n'est pas le mot; ils nous les a quasiment balancés à la gueule, comme si l'on était des chiens qui allaient mordre. Miles ne supportait pas que j'assiste à ces scènes de racisme. Son pays lui faisait honte. Je conserve un souvenir douloureux de cet épisode. Je crois que c'est pour cela qu'il n'a pas voulu que je le rejoigne aux USA.

Comme vous, Miles a fréquemment donné leur chance aux jeunes à la fin de sa carrière...

Certes. Mais dans la chanson la concurrence est terrible. Allez défendre celle d'un jeunot derrière "Jolie môme" ou "Mathilde".

J'ai pourtant l'impression que vous vous sentiez plus à l'aise hier soir avec les vers slamés.

(Sur un ton confidentiel, empruntant un air complice).

Ne le répétez pas: c'est plus facile...

Bruno Pfeiffer

lundi 10 août 2009

Sacrée Juliette

Jeudi soir, Abd Al Malik a enflammé le Festival de Ramatuelle. Pour ses 25 ans, cet évènement culturel créé par Jean-Claude Brialy et dont la direction artistique a été confiée à Michel Boujenah, a frappé fort. Le chanteur, que Le Parisien qualifie ce matin de "magicien des mots et de la musique", a accordé une interview à Var-Matin, interview croisée avec sa grande complice Juliette Gréco.

Abd Al Malik, qui a signé deux textes sur le dernier album de la grande Juliette et qui a même eu le privilège de chanter en duo avec elle Roméo et Juliette sur son propre opus - chanson qu'ils ont interprétée ensemble jeudi soir -, a une véritable passion pour elle.

Artistiquement, ils se ressemblent et ont pour point commun de ne pas pratiquer la langue de bois, bien que cette fois-ci la chanteuse ait pris nettement l'avantage.

Interrogés sur la disparition de Michael Jackson, Juliette répond : "Il était cassé, brisé. Mais ce n'est pas lui qu'il faut charger, c'est son père. Un monstre absolu qui l'a mis au monde et en même temps l'a tué... Il a finalement regagné son enfance perdue, mais on n'est pas Peter Pan sans le payer très cher." Abd Al Malik, quant à lui, la joue plus soft : "Il a amené beaucoup à la musique et à l'ouverture. En ce sens, c'est une perte."

Juliette Gréco revient ensuite sur la programmation du Festival de Ramatuelle, avoue que de son vivant Brialy n'aurait sans doute jamais choisi un artiste comme Abd Al Malik et quand le journaliste lui dit que l'acteur avait "osé l'ouverture" en y faisant participer Faudel il y a quelques années, la chanteuse répond tout de go avant de déclencher un fou rire général : "Oui mais Faudel, c'est nul quand même !"

Voilà, ça c'est fait... Pauvre Faudel, mais sacrée Juliette !

lundi 3 août 2009

Jean-Paul Roussillon, de Molière à Tchékhov


Le comédien Jean-Paul Roussillon s'est éteint dans la nuit de jeudi à vendredi à l'âge de 79 ans, a-t-on appris auprès de la Comédie française dont il était sociétaire honoraire. Le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a rendu hommage à un "très grand comédien", récompensé par trois Molière et qui avait reçu cette année un César pour son rôle dans "Un conte de Noël".

Jean-Paul Roussillon, également metteur en scène, avait interprété une centaine de pièces depuis le début de sa carrière.

Né en 1931, Jean-Paul Roussillon, dont le père travaillait en qualité de directeur de la scène à la Comédie française, avait joué sa première pièce, "Le Cantique des Cantiques", à l'âge de 14 ans.

Après des études au Conservatoire national d'art dramatique, il entre comme pensionnaire à la Comédie française en 1950 après avoir obtenu le prix d'interprétation pour son rôle dans "Ardèle ou la Marguerite" de Jean Anouilh.

En janvier 1960, Jean-Paul Roussillon devient sociétaire de la troupe et interprète l'emblématique Scapin, ou encore Puck dans "Le Songe d'une nuit d'été" de Shakespeare. Dès 1962, il signe sa première mise en scène avec "Le Retour imprévu" de Jean François Regnard, puis "Le Médecin malgré lui" de Molière en 1968 et surtout "L'Avare" de Molière, en 1973 dont "sa vision de l'oeuvre sur scène suscitera beaucoup de remous et d'enthousiasmes", note la Comédie française.

A 51 ans, il devient sociétaire honoraire, tout en continuant de mettre en scène pour la Comédie Française. Il interprète Koch, dans "Quai Ouest" de Bernard-Marie Koltès, créé dans une mise en scène de Patrice Chéreau, en coproduction avec le Théâtre des Amandiers de Nanterre en 1986.

Jean-Paul Roussillon avait été récompensé par trois Molière, les récompenses du théâtre, en 1991, 1996 et 2002. Egalement sollicité au cinéma, il avait reçu cette année le César du meilleur acteur dans un second rôle pour "Un Conte de Noël" d'Arnaud Depleschin dans lequel il était marié à Catherine Deneuve.

Il avait joué son dernier rôle au théâtre dans "La Cerisaie" d'Anton Tchekhov, au théâtre national de la Colline au printemps dernier. "Il y jouait de façon bouleversante le rôle d'un homme qui voit sa vie s'en aller", a rappelé le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand. "Il était de ceux qui peuvent s'imposer dans tous les registres par la seule force de leur présence, par un métier totalement possédé, et très souvent transcendé par la grâce", a-t-il salué dans un communiqué.

L'administratrice de la Comédie française, Muriel Mayette, a estimé pour sa part que Jean-Paul Roussillon avait "révolutionné la mise en scène" à la fin des années 1960. "Il mettait une gravité dans les comédies de Molière, le jeu devenait plus vrai, plus profond, plus psychologique", a-t-elle confié à l'Associated Press.

"C'était un grand directeur d'acteur et un grand comédien de sa génération. C'était un acteur de textes. Il ne faisait jamais un numéro personnel", a-t-elle également souligné, en rendant hommage à l'époux de Catherine Ferran, également sociétaire honoraire de la Comédie française, et au "compagnon de route" de Michel Aumont.

vendredi 19 juin 2009

Le grand art de Juliette Gréco met K-O le public du Théâtre des Champs-Elysées


Un piano, un accordéon et l'intensité lumineuse de la chanteuse

Gérard Jouannest est au piano, Jean-Louis Matinier à l'accordéon. La formule est simple et convient à Juliette Gréco, qui l'avait utilisée au Théâtre du Châtelet, à Paris, en 2007, alors qu'elle enterrait sa vie de jeune femme en y soufflant ses quatre-vingts bougies.

Trois ans après, à 83 ans donc, madame Gréco chante Déshabillez-moi (de Robert Nyel et Gaby Verlor) avec le culot d'une émancipée. Elle tente de s'en excuser, mais on rit de cette coquetterie, elle aussi. Robe noire, teint pâle, lumières géométriques, mains savantes, graves profonds : c'est tout Gréco.

On y sent d'abord un long parcours de music-hall, soixante ans d'Olympia, de Bobino, de TNP, de Casino de Paris ou d'Odéon, de tournées en province, de galas à l'étranger. Chaque année qui passe chez Gréco, c'est un peu plus de savoir accumulé, plus de technique, plus de don à jouer la comédie, à décrire la réalité sans perdre cette aptitude à rire et à folâtrer intelligemment.

Le 8 juin, au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris, l'interprète donne une version renversante de J'arrive, noire conversation avec la mort écrite par Jacques Brel sur une musique de Gérard Jouannest, pianiste, compositeur et, ici, mari. Du grand art, une voix de diseuse jetée sur un filet d'accordéon accompagné de piano. La salle termine debout, K-O.

De Brel-Jouannest, Juliette Gréco en emplit son récital - Bruxelles, Mathilde -, mais aussi de Gainsbourg - La Javanaise, Accordéon, La Chanson de Prévert - ou de Ferré - Avec le temps, Jolie Môme. Dans cette allée monumentale de la chanson française, l'interprète fait une place à Maxime Le Forestier pour Né quelque part, un thème militant.

LES MAINS EN PAPILLON

De même qu'on ne trouvera pas trace des chansons que lui a écrites Etienne Roda-Gil en 1993 ou que lui a offertes une jeune génération de chanteurs (Miossec, Biolay...) dans Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez dix ans plus tard, elle a délaissé l'un de ses classiques révolutionnaires, Le Temps des cerises, longtemps sa chanson fétiche. Elle a gardé cependant comme un « devoir de mémoire » C'était un train de nuit (Jean-Claude Carrière-Gérard Jouannest, 1998), réminiscence de la Shoah, et rappel que « la haine, la peur, la torture, le sang et la mort » n'ont pas été éradiqués.

De son dernier album, Je me souviens de tout, paru ce printemps, Juliette Gréco sauve quatre chansons, toutes composées par Jouannest et écrites par de jeunes artistes, Orly Chapp, Olivia Ruiz, Abd Al Malik ou Marie Nimier. Les arrangements de scène sont identiques à ceux de l'album, et ressemblent au mariage de la carpe et du lapin : profus mais joués en duo, conçus pour habiller une grande voix, mais la noyant souvent.

Le lapin court, mais la carpe n'est pas muette, elle est imparable. Car Géco est intense, jamais dans la routine, les bras écartés, les mains en papillon, mimant dans un souffle la soumission de la serveuse des Amants d'un jour (Claude Delécluse, Michèle Senlis/Marguerite Monnot), vouvoyant son amour comme un dandy dans La Javanaise, s'emparant de Jolie Môme avec une autorité de mère supérieure.

Véronique Mortaigne
Article paru dans l'édition du Monde du 11.06.09

lundi 11 mai 2009

LA FIÈVRE MONTE À... HADOPI


 


Génération mange-disque contre génération Internet ? Artistes " de gauche " contre chanteurs " de droite " ? Pas si simple. Dans le débat qui agite actuellement le monde culturel autour du projet de loi Hadopi, en discussion au Parlement et dont le but est de lutter contre le téléchargement illégal, caricaturer les positions des uns et des autres est tentant. Surtout après la lettre ouverte au Parti socialiste signée par quatre artistes - Juliette Gréco, Maxime Le Forestier, Pierre Arditi et Michel Piccoli, tous nés avant le milieu du siècle passé -, publiée dans Le Monde du 5 mai et demandant au PS, qui combat la loi, de " redevenir de gauche " en soutenant ce texte.

Le même jour, " Le Grand Journal " de Canal+ a fait entendre d'autres voix. A la question d'un téléspectateur : " A choisir, tu préfères que je télécharge ta musique illégalement ou que je ne l'écoute pas ? ", Véronique Samson, Faudel, Eddy Mitchel ont répondu sans détour : " Que tu ne l'écoutes pas. " L'interprète de Lèche-bottes blues a même apporté cette précision, à destination des mélomanes : " Si tu télécharges illégalement, c'est que tu as du caca dans les oreilles vu que ça donne une écoute absolument mauvaise. " France Gall a, pour sa part, avancé une solution radicale : celui qui télécharge illégalement son album avant sa sortie, elle le " tue ", vu que " lui ne se gêne pas pour tuer toute une profession ". A l'inverse, Camille, Lio, Bernard Lavilliers, Mikael Youn et Grand Corps Malade préfèrent qu'on les écoute... Le slammeur nuance cependant sa position : " Si t'as les moyens, vas acheter le disque, fais pas le crevard ! "

Cette diversité de points de vue a eu le mérite de rétablir un certain équilibre, de nombreux médias ayant tendance à affirmer que les artistes, dans leur globalité, sont pour la loi Hadopi. D'autres, de sensibilité de droite comme de gauche, de l'époque du microsillon ou de celle du téléchargement, jugent ce texte inadapté, anachronique et liberticide, et Canal+ a bien fait de le rappeler.

SYLVIE KERVIEL

 

Le Monde radio-télévision, 10-11 mai 2009

vendredi 24 avril 2009

Les quatre saisons du capitalisme

Les économistes passent donc l'essentiel de leurs journées à scruter le ciel pour y chercher des hirondelles qui signaleraient la fin de ce terrible hiver conjoncturel et le retour de la croissance. Quelques vols auraient été observés en Chine et aux Etats-Unis, mais pas en assez grand nombre pour pouvoir assurer que les beaux jours sont revenus.

La crise des subprimes a en tout cas mis fin à une grande illusion, celle qui voulait que l'économie mondiale ne connaisse plus de saisons, qu'elle ne soit plus soumise à des cycles. Cette théorie merveilleuse, née à la fin du XXe siècle, expliquait que grâce aux gains de productivité procurés par les nouvelles technologies, à l'éradication de l'inflation, à l'entrée en scène des grands pays émergents avec leurs milliards de nouveaux consommateurs, l'économie mondiale était promise à une expansion continue et infinie, sans soubresauts majeurs. La crise financière asiatique de 1998 et le krach des valeurs Internet de 2000 avaient à peine ébranlé la conviction, qu'une nouvelle ère s'était ouverte, faite de croissance perpétuelle, et que nous vivions en direct, sans vraiment nous en rendre compte, la fin - heureuse - de l'histoire économique.

Avec la faillite de Lehman Brothers, avec les PIB des pays industrialisés reculant dans des proportions jamais vues depuis les années 1930, cette thèse aussi séduisante qu'enthousiasmante a vécu. Les cycles sont de retour, et avec eux, les grands économistes qui les ont étudiés et modélisés. Dans les bibliothèques, on consulte à nouveau leurs ouvrages que la poussière avait recouverts.

Parmi ceux-ci, Des crises commerciales et leur retour périodique en France, en Angleterre, et aux Etats-Unis, du Français Clément Juglar, édité en 1862. Il fut l'un des premiers à établir qu'au-delà des causes apparentes et immédiates spécifiques à chaque crise, existent des éléments communs expliquant à la fois leur caractère récurrent et inévitable. A commencer - tiens donc ! - par... le dérèglement périodique du crédit et le rôle de la spéculation. « Les symptômes qui précèdent les crises sont les signes d'une grande prospérité, écrivait Juglar, médecin de formation. Nous signalerons les entreprises et les spéculations de tout genre (...), la hausse des prix de tous les produits, des terres, des maisons (...), la baisse de l'intérêt (...). Un luxe croissant entraîne des dépenses excessives, basées non sur les revenus, mais sur l'estimation du capital d'après les cours cotés. » Ne manque que le mot subprime. Utilisant le vocabulaire médical, le bon docteur Juglar poursuivait : « Les crises, comme les maladies, paraissent une des conditions de l'existence des sociétés où le commerce et l'industrie dominent. On peut les prévoir, les adoucir, s'en préserver jusqu'à un certain point, faciliter la reprise des affaires ; mais les supprimer, c'est ce qui jusqu'ici, malgré les combinaisons les plus diverses, n'a été donné à personne. »

Si Juglar avait mis en évidence des cycles de courte durée (huit-dix ans), ce sont des cycles beaucoup plus longs (d'environ cinquante ans) que l'économiste russe Nicolaï Kondratiev identifia dans Les Vagues longues de la conjoncture, paru en 1926. Ses travaux, qui arrivaient à la conclusion que l'économie capitaliste est soumise, à intervalles réguliers, à des phases d'embellies et de dépressions, qu'elle redémarre après chaque crise, furent qualifiés par le Kremlin de théorie « erronée et réactionnaire », incompatible avec la mort annoncée du capitalisme. En 1930, Kondratiev fut condamné lors d'un procès truqué au travail forcé dans un camp du goulag, avant d'être fusillé sept ans plus tard sur ordre de Staline.

Joseph Schumpeter, lui, eut la chance de pouvoir fuir l'Autriche et le nazisme pour rejoindre les Etats-Unis et Harvard. Reprenant en les combinant les découvertes de Juglar et Kondratiev, il élabora sa propre théorie des cycles dans Business Cycles (1939). Pour Schumpeter, le capitalisme est soumis à « des oscillations périodiques de conjoncture », à quatre temps, quatre saisons (prospérité et récession, dépression et reprise). Il est une sorte « d'ouragan perpétuel », les périodes de contraction étant la conséquence logique et inéluctable de celles d'expansion qui les ont précédées. « Non seulement, il n'est jamais stationnaire, mais il ne pourra jamais le devenir », soumis à « une destruction créatrice » permanente liée aux innovations. Ce qui conduit Schumpeter à relativiser l'importance des crises. Dans le livre qu'il a consacré à l'économiste, Alexis Karklins-Marchay relate les propos que celui-ci tenait à ses étudiants de Harvard au beau milieu des années 1930. « Messieurs, vous vous faites du souci à cause de la dépression, vous ne devriez pas car pour le capitalisme, la dépression est une bonne douche froide. »

Schumpeter était convaincu de l'efficacité supérieure du capitalisme pour créer à long terme des richesses et augmenter le bien-être de l'humanité. Et ils qualifiaient ceux qui niaient ces succès de « stupides, ignorants ou irresponsables ». Mais il était aussi persuadé que le capitalisme ne pourrait survivre, notamment parce que les citoyens, au fur et à mesure que leur niveau de vie progresse, supportent de moins en moins cette instabilité et ce sentiment d'insécurité qui lui sont inhérents. Qu'ils réclameraient de plus en plus un système en apparence plus protecteur et plus stable, de plus en plus d'Etat, c'est-à-dire de socialisme. On a beaucoup dit que la crise des subprimes marquait le triomphe des idées de Keynes. Il se pourrait qu'elle soit, bien plus encore, celui des analyses de Schumpeter.

Pierre-Antoine Delhommais

mardi 21 avril 2009

Dans les bottes de Mitterrand


La petite entreprise de François Bayrou ne connaît pas la crise. Œil frisant, joue rose, torse bombé, son fondateur observe, la mine gourmande, une scène politique dont il est devenu, envers et contre tout, l'un des ténors. Il est vrai qu'il suscite, à nouveau, autant d'intérêt que d'irritation. Sorti d'outre-tombe, Dominique de Villepin se reconnaît avec lui des " valeurs communes ". Sorti de sa réserve, François Hollande vient de poser la question qui fâche, rue de Solférino : " Il est un concurrent. Peut-il devenir un partenaire ? " Sous couvert de clarification, c'est admettre qu'il a gagné ses galons d'antisarkozyste de choc.

Mieux, il agace, donc il inquiète. Hier complice, Daniel Cohn-Bendit moque, chez le président du MoDem, une obsession présidentielle qui frise la révélation mariale. Hier bien décidé à l'ignorer, l'Elysée commence à s'énerver, le traitant de " populiste " (Xavier Bertrand), de " Le Pen light " (Nicolas Sarkozy par la voix d'Alain Minc), enfin de " menteur " (Claude Guéant).

Il est vrai que la pose est avantageuse : pour le bon peuple, David aura toujours raison contre Goliath et le rebelle contre le pouvoir. Succès d'estime ? Peut-être. Mais qui a un précédent, dont François Bayrou n'ignore, à l'évidence, aucun détail : celui de François Mitterrand. En 1964, celui-ci avait lancé son Coup d'Etat permanent, virulent pamphlet antigaulliste. Bayrou s'apprête à faire de même, cette semaine, avec son Abus de pouvoir, brûlot contre un président qui " conduit la France vers un modèle dont elle ne veut pas ". En 1965, à la faveur des impuissances et des divisions de la gauche - déjà -, Mitterrand s'était imposé, seul contre tous, comme le candidat capable de faire vaciller " le Général " à l'élection présidentielle. Bayrou a manqué réussir la même prouesse en 2007, mais il rêve de pouvoir dire, demain : " L'opposition, c'est moi ! ", face à " L'Etat c'est moi " sarkozyen. Plus réjouissant encore, et le député des Pyrénées-Atlantiques l'avait rappelé, en 2007 : après l'échec de la gauche en 1969, Mitterrand avait réussi une spectaculaire OPA sur le Parti socialiste à Epinay, au nom de la rupture avec le capitalisme. Pourquoi Bayrou, lui aussi venu de la droite et passé par le centre, ne fantasmerait-il pas scénario aussi rocambolesque ? Il en a déjà les accents, quand il envisage d'" imposer son projet humaniste en dépit du capitalisme, et s'il le faut contre lui " ou fustige " la frivolité de l'argent étalé ", comme en écho à " l'argent qui corrompt " de Mitterrand.

Le mimétisme ne s'arrête pas là. L'un conversait avec les arbres, l'autre parle avec les chevaux. Le premier fut un " prince de l'ambiguïté ", le second n'est pas en reste. Comme son devancier, il pose au paysan, joue de ses racines provinciales - Béarn à la boutonnière -, se pique de littérature, distribue les aphorismes avec la componction d'un oracle, affiche le même goût du romanesque et fait de la présidentielle " le combat de sa vie ". Bref, Bayrou a enfilé les bottes de Mitterrand. Reste à prouver qu'il ne s'est pas trompé de pointure.

Gérard Courtois, Le Monde, 21 avril 2009

mardi 24 mars 2009

Jacqueline François, chanteuse

Jacqueline François, chanteuse

Jacqueline François était une femme du monde, au caractère exigeant et bien trempé. De 1945 à 1965, "Mademoiselle de Paris" - c'est aussi le titre de l'un de ses grands succès - avait incarné le chic parisien et la chanson française du Japon aux Etats-Unis, en passant par le Brésil. Millionnaire du disque à une époque où les meilleures ventes se comptaient en dizaines de milliers, incontestable ambassadrice de la France de l'après-guerre, l'interprète est morte le 7 mars à Paris, à l'âge de 87 ans, dans la plus grande discrétion.

Une discrétion volontaire : elle n'aimait pas les tralalas. Du reste, les années rock avaient eu raison depuis longtemps de sa célébrité.

Jacqueline Guillemautot était née le 30 janvier 1922 à Neuilly-sur-Seine. Aînée des cinq enfants d'une famille bourgeoise, elle reçoit une éducation stricte, qui inclut les cours de piano. Le père occupe un poste de direction aux brillantines Roja ("Pour être aimée, ayez du charme", ordonne la réclame). Dissidente, mais toujours bien élevée, Jacqueline François se produit dans les cabarets et séduit, car elle a une voix qui se révélera être l'une des plus belles de France. Claire, impeccable, avec un phrasé "américain", explique au Monde Charles Aznavour, dont elle fut l'une des premières interprètes au début des années 1950 (Sa jeunesse, On ne sait jamais...)

Jacqueline François comptera dans le début de notoriété d'Aznavour, tout comme Catherine Sauvage avait contribué à faire connaître Léo Ferré, ou Patachou, Georges Brassens. "Elle avait une oreille extraordinaire. Je l'ai croisée pour la première fois au Pont-Aven, un petit resto de marché noir. Elle chantait pour un maigre salaire et un sandwich, qu'elle nous donnait, car elle n'en avait pas besoin", raconte Charles Aznavour, avouant des "complicités anciennes et intimes" avec l'élégante Parisienne.

Au sortir de la guerre, Jacqueline François veut chanter "réaliste" comme ses pairs de l'époque, Renée Lebas (née en 1917), Léo Marjane (1912) ou Edith Piaf (1915-1963). En 1945, la jeune femme passe une audition pour la radio. Elle y croise le guitariste et compositeur Loulou Gasté, futur mari de Line Renaud, qui lui propose d'enregistrer deux de ses compositions. Gentleman et Ça n'était pas original (paroles de Françoise Giroud) sont gravés en 1947 sur deux 78 tours chez Sofradi.

En tournée, elle rencontre le docteur Henri Decker, qui devient son mari et le père d'un enfant unique, François. Henri Decker lui présente le musicien sétois Paul Durand, compositeur entre autres de Seule ce soir, un tube de Léo Marjane en 1941. Avec Jacques Canetti, directeur artistique de la maison de disques Polydor, Paul Durand va convaincre Jacqueline François d'abandonner le genre réaliste pour une chanson plus moderne, très empreinte de jazz, de rythmes latins et d'amour fleur bleue, à écouter les dimanches ensoleillés, alors que le pays redécouvre l'idée de bonheur après les horreurs de la guerre.

En 1954, elle se rapproche du pianiste et compositeur Michel Legrand croisé lors d'un Musicorama à l'Olympia, puis quitte Polydor pour Philips, laissant ses anciens anges gardiens, Canetti et Durand, sur la touche.

"LES LAVANDIÈRES DU PORTUGAL"

Jacqueline François est douée pour le succès : dès 1948, elle réussit à mettre sur toutes les lèvres C'est le printemps, reprise d'une chanson de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein, It Might as Well Be Spring, qui avait été créée en français par Jean Sablon plus discrètement. Puis elle rafle sa gloire commerciale à la vedette Renée Lebas quand Paul Durand s'allie à Henri Contet, l'un des auteurs phares d'Edith Piaf, pour écrire une mélodie élégante, Mademoiselle de Paris ("Son royaume, c'est la rue de Rivoli, son destin, c'est d'habiller les autres. On dit qu'elle est petite main"). Ils travaillent à partir du contre-chant de Bal de nuit, que Renée Lebas avait créé sans réussite. Même scénario avec Trois fois merci, de Pierre Dorsey et Michel Elmer, autre auteur attaché à Piaf, avec Tu n'peux pas t'figurer de Paul Misraki (créé par Suzy Delair). A chaque fois, les ventes s'envolent avec Mlle François.

Enorme succès aussi avec Les Lavandières du Portugal, de Roger Lucchesi et André Popp, qui lui vaudra son second Grand Prix du disque en 1955. "Elle a bâti le destin commercial de Polydor, explique Jérôme Collet, auteur d'un coffret, Mademoiselle de Paris (Mercury/Universal, 2002), car elle vendait beaucoup. Puis elle a contribué à la solidité des éditions Raoul Breton en chantant dans le monde entier des auteurs de la maison, comme Trenet, dont elle lança La Mer outre-Atlantique, ou Aznavour (aujourd'hui propriétaire des éditions Breton), lors de tournées, notamment en URSS et au Brésil, jusqu'à la fin des années 1960."

En 1950, Jacqueline François avait fait une première apparition aux Etats-Unis, où "elle finit par être davantage connue qu'Edith Piaf", se souvient Charles Aznavour pour qui la conquête de l'Amérique fut moins aisée. "Lors de son passage au Plazza de New York, la queue, impressionnante, faisait tout le tour du pâté d'immeubles". Elle y édita douze 33 tours, un record pour une chanteuse française. En scène, Piaf avait de la folie, une force indescriptible. Jacqueline François est chic, très américaine, de belle tenue. Liaisons grammaticales parfaites, diction impeccable. "Quand on est à l'étranger, on ne peut pas se permettre d'être mal habillée", disait d'un ton sec cette éternelle bien coiffée.

Qu'aura apporté Jacqueline François à la chanson française ? Réponse d'Aznavour : "La qualité, la rigueur du répertoire, la voix. Chaque chanson, même les "chansonnettes" qu'elle choisissait d'interpréter, était bien écrite, dotée d'une mélodie irréprochable." Elle s'est pourtant effacée, au seuil des années 1970, après vingt ans d'un succès inédit, apparaissant à peine à la télévision dans les émissions de Pascal Sevran. Sans doute faute d'avoir su entretenir sa légende.

 

Véronique Mortaigne


Dates clés

30 janvier 1922
Naissance à Neuilly-sur-Seine.

1948
"Mademoiselle de Paris" reçoit son premier Grand Prix du disque.

1955
Se voit décerner son second Grand Prix du disque pour "Les Lavandières du Portugal".

1974
"Quand on est une femme".

7 mars 2009
Mort à Paris.

mercredi 25 février 2009

Les Tiberi de plus en plus isolés



Le tribunal de Paris organisait hier une confrontation générale des onze prévenus dans l'affaire des faux électeurs du 5e arrondissement, qu'elle étudie jusqu'au 4 mars. Si la fraude n'est plus à prouver, compte tenu des éléments fournis durant le procès, le juge Jean-Paul Albert a eu bien du mal à obtenir des aveux de la plus fidèle lieutenant de Jean et Xavière Tiberi.


Première adjointe du 5e au moment des faits, Anne-Marie Affret, qui occupe toujours ce poste et défend le couple bec et ongles, a refusé de dévoiler le nom de ses donneurs d'ordres. « Il y a des responsabilités ?, lui demande le président. - Sûrement monsieur. - Dans cette salle ? - On est tous là de toute façon. - C'étaient des personnes au-dessus de vous ? - Forcément, oui. » Certes, elle recevait bien « des transmissions » de Xavière Tiberi sur différents sujets, mais « ce n'était pas un ordre ». « Jean Tiberi, c'était le cerveau, c'est évident, continue Anne-Marie Affret, évoquant les affaires courantes de la mairie. Les initiatives, c'est pas moi qui peux les prendre. » Jean Tiberi n'a, lui, « jamais, jamais, jamais » eu connaissance des problèmes de faux électeurs. « Je n'ai jamais fait un faux, jamais il n'y a eu de preuve. Et je m'en félicite », lance-t-il. Le juge, pourtant connu pour sa mesure jusqu'alors, lève les bras et les yeux au ciel. « C'est une manifestation spontanée alors ? Comment ça peut exister ? Comment ils arrivent ces faux électeurs ? » Pas de réponse.

Le chef du bureau des élections à l'époque, Olivier Favre, raconte ensuite les « radiations ciblées » dans le 5e. « On nous a dit de radier d'office les électeurs des lycées Henri-IV et Louis-le-Grand qui n'y habitaient plus, car ils ne votaient pas pour Jean Tiberi. Ces radiations étaient justifiées. Mais c'était une faute de s'arrêter uniquement à ces adresses. » Il évoquera aussi des séances de « photocopies de cartes électorales » tard le soir dans le bureau des élections. Selon le registre du gardien, Jean et Xavière Tiberi étaient de la partie. « 23 avril 1997, arrivée de Jean Tiberi à 22 h, départ de Jean et Xavière Tiberi à 23 h 12 », lit le juge. « Je ne sais pas pourquoi il écrit ça, je n'ai jamais mis les pieds dans ce bureau », répond Jean Tiberi. Anne-Marie Affret n'a pas la même capacité à nier. Face à une énième question du juge sur la responsabilité du couple, elle craque : « Je crois que je vais m'arrêter là, c'est trop, je ne sais plus où donner de la tête. J'espère que mon avocat me défendra bien », lâche-t-elle dans un soupir. Elle se retourne vers lui. Son défenseur a changé de place et s'assied désormais du côté de la partie civile, loin de la troupe des avocats du clan Tiberi. 

lundi 23 février 2009

La Guadeloupe expliquée à mes amis de métropole

Une grève contre la vie chère ?

Non. Pas vraiment.

Le collectif qui mène la grève est un ensemble de 49 associations syndicales, politiques, associations de consommateurs et associations culturelles. Elle a déposé (un mois avant le début de la grève générale, et personne n'a jugé bon de s'en préoccuper) un cahier de 146 revendications réparties sur 10 chapitres. Parmi ces chapitres, un (un seul !) concerne la vie chère.

Mais alors qu'est-ce que cette grève ?

Le collectif à l'initiative de cette grève s'appelle "LKP" : Lyannaj kont pwofitasyon (C'est du créole). Traduction "alliance contre le vol et les profits abusifs". C'est une mobilisation sans précédant. Le LKP parle de 100 000 personnes dans les rues (sur une population de 460 000, soit près du quart de la population). Au delà de la bataille des chiffres, une chose est sure : c'est historique. C'est la plus grande mobilisation de l'histoire de la Guadeloupe et chaque sortie du LKP crée un nouveau record. Depuis une semaine, la Martinique emboîte le pas, la réunion depuis deux jours, et la Guyane s'y prépare.

Qu'est-ce que la "pwofitasyon" ?

Surtout, ne pas traduire par "profit" (c'est un faux amis). La "pwofitasyon", ici peut se traduire comme je viens de dire par "profits abusifs". Dans le langage courant, "pwofitasyon" désigne l'abus de pouvoir qu'un puissant exerce sur quelqu'un dont il sait déjà qu'il est pus faible que lui, pour le rendre encore plus subordonné. L'exemple type, est celui des enfants dans la cours de récréation d'une école primaire. Les "grands" de CM2 peuvent exercer dans la cours des "pwofitasyon" sur les "petits" de CP, qui n'auront que leur yeux pour pleurer. (N'est-ce pas mignon, notre cher et tendre enfance ?)

Les domaines de "pwofitasyon" sont multiples chez nous :

Le constat est le suivant. En Guadeloupe, les prix sont beaucoup plus élevés qu'en France et donc parmi les plus élevés d'Europe et du monde. On constate (pour les mêmes enseignes et les mêmes produits) des écarts de plus de 100% que l'éloignement (il faut bien payer le transport) n'explique pas (exemple : 84% sur les pâtes alimentaires). Selon tous les experts, après analyse de la chaîne, de la production au caddie du consommateur, en passant par le transport, le surcoût par rapport à l'hexagone ne devrait pas dépasser 10%. Les différences de prix constatées ressemblent donc fortement à.... du vol organisé.

Quelques exemples de "pwofitasyon" dénoncés par le LKP :

  • L'essence que payait les guadeloupeéns était l'une des plus chère au monde. Il y a une crise internationale qui a fait exploser le cours du pétrole, certes, mais cela n'explique absolument pas le cours des prix en Guadeloupe (dans les DOM de manière générale). Aujourd'hui qu'un début lumière commence à être fait sur la question, plus personne ne le conteste.
  • Le LKP a présenté à l'état son expertise des méthodes de fixation des prix, résultat : tout le monde est d'accord sur le constat qui consiste à dire que les prix sont anormaux (même ceux qui sont contre la grève générale comme forme choisie pour le dénoncer) . Le secrétaire d'état aux DOM, monsieur Yves Jego envisage même une action en justice de l'Etat contre la SARA (Société Anonyme de Raffinage Antillaise) dont l'actionnaire principal (70%) est TOTAL. Vous m'accorderez sans doute que ce ne sont pas des nécessiteux. Et Jego (lui même), a dit que si après enquête, il est démontré que la SARA a perçu des sommes indues (ce sera probablement le cas), cette somme devra être remise aux guadeloupéens sous la forme d'un fond pour la formation professionnelle.

N.B : La SARA est en situation de monopole en Guadeloupe, pas de concurrence. C'est elle qui distribue l'essence.

 Quant aux prix de la grande distribution... une des pistes est de créer "un panier de la ménagère" constitué d'environ 100 produits sur lesquels la grande distributions n'aurait plus le droit de dépasser les prix de l'hexagone de plus de 10%, avec la création d'un organe bi-mensuel de contrôle des prix pour éviter de nouvelles dérives.

N.B : Les géants de la distribution sont en situation de quasi monopole. Il s'agit principalement du groupe Hayot (Bernard Hayot est dans le top 120 des fortunes françaises). En plus ils détiennent l'importation et ont le monopole de la distribution sur plusieurs grandes marques. Pour accentuer le problème, les quelques concurrents existants sont des groupes amis (cousins, alliances...) puisque ce circuit est aux mains d'une ethno-classe compacte et réduite(**).

(**) voir reportage assez édifiant de canal + "Les derniers maîtres de la Martinique"

Autre détail intéressant. Parmi les revendications sur le coup de la vie, il y a la baisse des tarifs des prestations bancaires. Et que s'est-il passé ? Dès que les banques en Guadeloupe (pourtant les mêmes que dans l'hexagone) ont pris connaissance des revendications les concernant, avant même que cette question ait été négociée, les banques ont adopté une baisse de leurs tarifs !! Permettez moi de penser que ça signifie que les tarifs étaient effectivement abusifs.

Le reste des revendications ?

Elles traversent TOUS les domaines de la société. Vraiment tout. Les 9 autres chapitres : Education, Formation professionnelle, Emploi, Droits syndicaux et liberté syndicales, Services publics, Aménagement du territoire et infrastructures, Culture, et enfin "pwofitasyon" (il s'agit de réclamer des mesures pour contrôler désormais les prix). J'appelle ça un mouvement sociétal. Si certains persistent à parler de vie chère...je n'y peux rien. C'est un véritable cahier de Doléances. Il parcourt l'ensemble des domaines de la société.

Rappelons que ces revendications sont au nombre de 146 et que le LKP a défini parmi ces 146, 19 à négocier immédiatement, puis d'autres qui demandent des réponses plus purement politiques voire institutionnelles, qui devront être débattues à long et moyen terme.

Je peux, si vous le souhaitez, vous envoyer ce cahier de revendications.

Mais alors... Pourquoi ne parle-t-on que de ces foutu 200€ que le LKP demande ?

Parce que cela fait partie effectivement des revendications et comme tout le monde s'y attendait, c'est le point qui bloque les négociations. Le LKP ne démord pas. Le patronat ne démord pas. Les positions se radicalisent.

Commentaire personnel : Je trouve ça dommage qu'un si beau mouvement bloque sur un point que je considère comme étant secondaire en terme de portée sociétale sur le futur de la Guadeloupe.

N.B : Il s'agit d'une augmentation de 200€ des bas salaires

Les guadeloupéens sont asphyxiés et meurent de faim alors ?

Mais pas du tout !! C'est cette question qui m'a poussé à écrire ce mail. Un ami métropolitain m'a appelé aujourd'hui pour me demander si on tenait le coup. Au début j'ai commencé à répondre que malgré la durée du conflit, la mobilisation était toujours de mise. Il me coupe : "Non, je voulais dire...Arrivez vous à remplir le réfrigérateur" !!

La Guadeloupe est en grève générale depuis bientôt 4 semaines. Les hyper marchés et super marchés sont fermés. En revanche les petits commerces de proximités sont ouverts, mais les rayons des magasins sont de plus en plus vides...

MAIS : La Guadeloupe s'organise. L'UPG (Union des Producteurs Guadeloupéens) ainsi que les pêcheurs font parti du LKP. Les poissons ne sont pas en grève : les pécheurs continuent à pêcher et à vendre leur poisson. Les animaux ne sont pas en grève : les éleveurs continuent à s'en occuper et à vendre leur viande. La terre n'est pas en grève : les cultivateurs continuent à travailler leurs exploitations et vendent leur denrées. Notre réfrigérateur n'a jamais été aussi plein.

Les hyper marchés sont fermés, mais les marchés sont ouverts. Il y a mieux : des marchés populaires sont organisés devant les piquets de grève et un peu partout. Les producteurs y vendent leur denrées aux prix auxquels ils ont l'habitude de vendre aux super marchés. Conséquence : ils ne perdent pas leur récolte ni leur revenus, et le porte feuille du consommateur apprécie puisque les marges exorbitantes de la grande distribution ne sont plus là.

Nous mangeons à notre faim et -fait intéressant- nous n'avons jamais autant consommé local !!
Je n'ai pas de purée mousseline, je n'ai plus de pâtes Panzani... et alors ? J'ai des tubercules, des légumes, de la viande, du poisson, des fruits frais, des fruits secs, des fruits de mer... Et ça coûte moins cher que d'habitude.
En fait, je crois que je n'avais jamais mangé aussi équilibré de ma vie.

Si vous n'avez jamais entendu tout ça, est-ce que la presse nationale fait de la désinformation ?

Je n'irai pas jusqu'à dire qu'on vous ment. Disons que parmi tout ce que les envoyés spéciaux des média nationaux voient, ils choisissent 5%, et le choisissent d'une manière assez surprenante.

La première semaine, ils n'en parlaient pas. La deuxième semaine, ils n'ont montré que des images de touristes dont les vacances ont été gâchées par cette grève (je suis sincèrement désolé pour eux, mais c'est la vie). Ils ont montré des rayons de super marché vide et ont semblé vouloir dire que la rupture des stocks créait le plus grand désarroi... Ils ont fustigé une grève qui - dit-on - pénaliserait de manière irrémédiable l'économie Guadeloupéenne.

Puis Le secrétaire d'état aux DOM est arrivé en Guadeloupe. Il y a carrément déplacé son cabinet et son staff.

La presse ne pouvait plus se contenter des mini sujets bâclés. Ils ont commencé à en parler un peu plus. Aujourd'hui, l'information que vous recevez est de plus en plus conforme à ce qui se passe.

Les "vrais" reportages font leur apparition. France inter a fait une longue émission dessus, j'ai pu voir un long article sur Elie Domota, porte parole du LKP dans je journal Le Monde. Libération a publié un long texte d'Ernest Pépin (écrivain Guadeloupéen)... Ça commence à changer. Pourtant, je suis persuadé que ceux qui ont tout lu de ce mail ont appris beaucoup de choses.

Pour les plus courageux, j'ajoute encore quelques points importants. Je quitte la description pour rentrer dans l'analyse (mais vous pouvez vous arrêter là).

Xénophobie ? Racisme ? Les slogans ?

Non, non, et trois fois non ! Le slogan principal repris depuis le 20 janvier en coeur par les manifestants :

"La Gwadloup sé tan-nou, la Gwadloup sé pa ta yo. Yo péké fè sa yo vlé, adan péyi an-nou"

Traduction littérale : " La Guadeloupe est à nous, La Guadeloupe n'est pas à eux. Ils ne feront pas ce qu'ils veulent dans notre pays"

Traduction plus usuelle : "La Guadeloupe nous appartient, elle ne leur appartient pas. Nous ne les laisserons pas faire ce qu'ils veulent dans notre pays."

La question qui inquiète certains : Mais qui est ce nous et ce eux ?
Nous = noirs ?
Eux = blancs ? Si oui, lesquels ? Les blancs en général (métropolitains) ou les "béké", descendants des maitres d'esclaves et qui ont su conserver leur domination économique et d'influence grâce aux héritages de génération en génération depuis l'époque esclavagiste, jusqu'à présent (sans la diluer dans le reste de la population car le béké fait souvent attention à "conserver la race" (**)

(**) revoir reportage assez édifiant de canal + "Les derniers maîtres de la Martinique

 Selon moi, il ne s'agit pas de ça. Moi qui vit ce mouvement de l'intérieur, moi qui reprend ce refrain avec joie depuis 4 semaines, je n'ai jamais désigné le blanc par ce "eux" et tous les gens de mon entourage sans exception sont du même avis.

 

 


vendredi 20 février 2009

Les "limogés du président" et la notion de "responsabilité"

Analyse par Jean-Baptiste de Montvalon
Le Monde


 
Responsable (latin responsum, de respondere, se porter garant) : Qui doit répondre de ses actes ou de ceux des personnes dont il a la charge." Telle est la première définition donnée par le Larousse au terme si souvent employé par Nicolas Sarkozy lorsqu'il veut traduire sa conception de la gestion des affaires publiques.

Remarque liminaire : le "responsable" est une personne. Exit les dossiers, évaluations, revendications, argumentaires ; bref, tout ce qui fait la complexité de la politique, que le chef de l'Etat présente comme une succession d'affaires personnelles. Cette simplification à laquelle se livre M. Sarkozy devant l'opinion est une première source de malentendus.

Comment comprendre en effet que la situation ne s'arrange pas alors que des "responsables" ont été désignés et sanctionnés ? Le doute risque fort de s'accroître au fur et à mesure que s'allonge la liste des limogés du président. Passons sur les motifs et le bien-fondé - parfois contestable - des sanctions prononcées. Que l'on sache, les moyens d'action des nationalistes corses n'ont pas été enrayés par le départ de Dominique Rossi, ex-coordonnateur des forces de sécurité sur l'île. Et le manque de moyens des hôpitaux psychiatriques n'a pas disparu après la suspension du directeur de l'établissement de Saint-Egrève, dans l'Isère.

La méthode, qui consiste à jeter en pâture quelques noms pour calmer la fringale présumée de l'opinion, peut - au mieux - avoir un effet placebo à court terme. Mais le risque est grand de la surenchère et/ou de la déception. D'autant qu'en désignant - pour les sanctionner - des responsables à tour de bras, M. Sarkozy risque fort de saper l'autorité liée à sa propre fonction.

On sait la propension de "l'omniprésident" à vouloir incarner à lui seul l'exercice du pouvoir. Le premier ministre - et le gouvernement derrière lui - a quasiment disparu de la "scène" politique, où se tient une sorte de one-man-show permanent. Pour justifier que lui soit reconnu un rôle prépondérant, M. Sarkozy a précisément invoqué ce principe de responsabilité.

"Plus la volonté politique s'affirme, plus la responsabilité politique doit s'affirmer aussi. Il ne peut y avoir de pouvoir fort sans responsabilité forte", soulignait le président de la République dans son discours sur les institutions prononcé à Epinal, le 12 juillet 2007. "Je souhaite que le président gouverne (...). Mais je souhaite que, dès lors, il soit amené à rendre davantage de comptes", insistait-il.

Ce faisant, M. Sarkozy pointait le problème essentiel des institutions de la Ve République. Instaurée en 1962, l'élection du président au suffrage universel lui a permis de prendre le pas sur le gouvernement, qui est pourtant seul "responsable" devant le Parlement. Accentué en ce début de quinquennat, ce hiatus se résume ainsi : le gouvernement est responsable, mais ne décide de rien. Le président décide de tout, mais n'est pas responsable.

Si la réforme des institutions adoptée le 21 juillet 2008 augmente à la marge les pouvoirs théoriques du Parlement, elle ne revient nullement sur l'irresponsabilité politique du président. Au demeurant, la seule piste évoquée par M. Sarkozy à Epinal, lorsqu'il se disait soucieux de "rendre davantage de comptes", était "la possibilité que (le président) puisse s'exprimer une fois par an devant le Parlement pour expliquer son action". Mais cet exercice de communication - auquel M. Sarkozy n'a pas eu recours pour l'instant - ne correspond nullement à la mise en jeu d'une quelconque responsabilité politique.

Celle-ci, comme le rappelait, à l'automne 2007, Bastien François, professeur de science politique à l'université Paris-I et cofondateur de la Convention pour la VIe République (C6R), "se mesure d'abord par rapport à l'état d'une relation qui se dénomme "confiance"". "Les gouvernants, précisait-il, doivent être en permanence en mesure de rendre des comptes sur l'usage qu'ils font ou ont fait de la confiance qui leur a été accordée." Mais, en France, nulle "question de confiance" (ou motion de censure) ne peut être déposée à l'encontre de notre président-arbitre, pourtant devenu un "président qui gouverne".

Pour défendre sa pratique du pouvoir, M. Sarkozy invoque son refus de l'hypocrisie. Lors de son entretien télévisé du 5 février, il a réaffirmé que ses prédécesseurs, du général de Gaulle à François Mitterrand, "décidaient", "y compris dans le détail". Sans doute. Tout au moins respectaient-ils les formes et les fonctions, comme celle de premier ministre. Ce qui avait pour effet de ménager à leur profit des "fusibles" fort utiles en période de crise.

Résumons : des responsables de peu sont sanctionnés par M. Sarkozy, qui entend lui-même être responsable de tout alors qu'il n'encourt aucun risque. Habitués à se voir livrer des "têtes" sur un plateau en toutes circonstances, les Français pourraient avoir envie que le président se prenne lui-même au mot. Il n'est pas sûr qu'il y songe. "L'histoire "responsable mais pas coupable", ce n'est pas mon genre", a certes déclaré le chef de l'Etat le 5 février. Mais il s'agissait du préfet de la Manche.

mercredi 18 février 2009

LES SOCIALISTES AUX CÔTÉS DES ULTRA-MARINS

Depuis plus d'un mois, un mouvement social d'une rare ampleur touche la Guadeloupe. Un mouvement qui s'étend progressivement à toutes les Antilles et à la Réunion. Alors que le gouvernement piétine pour satisfaire les garanties légitimes des dom-tom en matière de pouvoir d'achat, deux délégations socialistes se sont rendues le week-end dernier aux Antilles et à la Réunion pour rencontrer toutes les forces vives de ces territoires.

Intervention de Benoît HAMON, Porte-parole

Je suis accompagné des élus qui ont participé à la mission PS qui s’est rendue dans les départements d’outre-mer, le week-end dernier.

La question des salaires et du pouvoir d’achat qui se pose de manière hypertrophiée aux Antilles, menace maintenant de s’étendre sur tout le territoire métropolitain. Le Secrétariat national de ce matin a permis à travers ses échanges, de faire le point sur la situation. La Première secrétaire, Martine AUBRY recevra demain les élus socialistes des départements d’outre-mer avant leur rendez-vous avec le président de la République, pour établir une plateforme de revendications qui devrait être utile à l’Élysée, resté particulièrement inactif sur cette crise depuis le début. Nous ne pensons pas pour autant que la multiplication des revendications se traduise nécessairement par la multiplication des barrages. Il y a dans le pays un vrai problème de revendication de pouvoir d’achat et de salaires qui s’exprime. Il y a une mobilisation prévue le 19 mars. La redistribution des richesses et le financement défaillant des services publics font que les syndicats s’accordent tous pour remettre en cause la loi TEPA. Nous verrons comment le gouvernement répond à toutes ces préoccupations et s’il met tout en œuvre pour essayer de trouver un débouché positif à la crise.

Christian PAUL, président du laboratoire des idées

Nous sommes allés aux Antilles et à la Réunion pour témoigner sur la gravité de la crise sociale qui touche les départements d’outremer. La situation est d’autant plus tendue que la crise n’est pas apparue ces derniers jours. Cette crise doit beaucoup au désengagement de l’Etat et de ses missions de régulation. Le silence présidentiel et la valse hésitation sur la gestion de la crise n’ont rien arrangé. Nous dénonçons donc l’inertie de l’État et sa forte responsabilité sur l’enlisement de la crise qui atteint maintenant son paroxysme.
Nous adressons donc un message de solidarité à ces populations en difficulté car la demande sociale qui s’exprime est fondée. Les prix explosent et les domiens ne sont plus en mesure de faire face, étant donné leurs revenus insuffisants.

Nous avons interpellé le gouvernement pour que l’État sorte de son isolement et retourne à la table des négociations. Les associations, les partenaires sociaux et même le patronat sont prêts à y revenir. Il faut donc que l’État reprenne sa place. C’est pourquoi le Parti  socialiste invite le président de la République à sortir de son silence. L’État a déserté son rôle de négociateur d’où le sentiment d’abandon perceptible. La demande des 200 euros d’augmentation est juste au regard des situations exceptionnelles et spécifiques de l’outre-mer et des écarts de prix et de revenus moyens. L’élaboration de la plateforme de revendication permettra d’ajuster cette demande. Car la négociation doit reprendre là où elle s’est interrompue, sur la revendication de 200 euros sur les salaires plus faibles et sur une juste répartition de l’effort demandé à la fois par les entreprises qui exercent un monopole, et  par l’État. Yves JEGO avait commencé à engager la discussion en ce sens avant qu’elle ne soit prise en otage par la négociation prévue entre les partenaires sociaux et l’Élysée, le 18 février. La crise menace maintenant de s’étendre sur tout le territoire. La situation exceptionnelle d’outre-mer nécessite une négociation spécifique car la situation est complexe et encore plus préoccupante. Elle nécessite un effort exceptionnel de la part de l’État. Il ne faudrait pas que l’État cède à la tentation de diaboliser les mouvements sociaux qui s’expriment car cela ne correspond en rien à ce que nous avons vu sur place. Des dérapages sont possibles parce que l’État a laissé pourrir le conflit.

Intervention d’Arnaud MONTEBOURG, Secrétaire national chargé de la rénovation

Il est toujours intéressant d’observer et utile d’être présent là où les conflits sont en gestation. A l’île de la Réunion, les problèmes de la vie chère sont décuplés par rapport à ce que nous connaissons en métropole et il y a une absence des pouvoirs publics. Il y a déjà une crise des carburants au mois de novembre qui n’a pas été soldée, et aujourd’hui les difficultés sont palpables. Un collectif contre la vie chère est en place et nous sentons la popularité de ses actions. Déjà des actions ont été menées dans les supermarchés pour alerter sur les difficultés rencontrées par les populations de l’île à vivre correctement. Nous appelons au dialogue et à l’ouverture sans tarder de négociations. Au gouvernement de les mener à bien. Si M. JEGO est venu avec 15 jours de retard avec les conséquences dramatiques que nous connaissons aux Antilles, il vaudrait mieux qu’il ait 15 jours d’avance à la Réunion pour éviter le même scénario. Les revendications posées sur la table pour le 5 mars sont des revendications légitimes. Le gouvernement a trop longtemps laisser pourrir la situation.

mardi 17 février 2009

M. Sarkozy veut briser le consensus Francais sur l’OTAN, c’est une erreur grave

Communiqué de Laurent Fabius, ancien Premier Ministre

Depuis 1966 et la décision historique du Général de Gaulle, un consensus s’était établi sur la position de notre pays à l’égard de l’OTAN : allié des Etats-Unis mais pas aligné. Cette position, qui fait de nous des partenaires loyaux mais indépendants, correspond à nos intérêts et contribue à l’audience internationale de la France.

L’intention de M. Sarkozy de rompre prochainement avec cette attitude constante depuis plus de 40 ans, au prétexte d’obtenir des commandements d’ailleurs mineurs, constitue une triple faute : nous aligner dorénavant sur les Etats-Unis, exclure toute évolution vers une réelle défense européenne, affaiblir la position internationale de la France : ce serait un recul considérable qui briserait le consensus national alors que la mission d’un chef de l’Etat est au contraire de le renforcer.

Nombreux sont les Français de toutes opinions qui ne l’acceptent pas. C’est pourquoi un débat national est indispensable sur ce sujet, dont je demande qu’il soit conclu par un vote.

M. Sarkozy est Président de la République, il n’est pas propriétaire du destin de notre pays. Il ne lui appartient pas, par préjugé idéologique, de rompre avec les intérêts supérieurs de la France.

jeudi 5 février 2009

Immigration en France : Eric Besson lance un appel à la délation


Bienvenue dans le monde de la délation. Un tire de séjour de 10 ans pour les clandestins qui dénoncent leurs passeurs, voici la nouvelle proposition d’Eric Besson. Pour expliquer son dispositif, le ministre français de l’Immigration a annoncé, mercredi, sur Europe 1 que son objectif « premier » était de « démanteler les filières ». Pas de doute, Eric Besson est le digne héritier de Brice Hortefeux…

A partir de demain, les étrangers entrés illégalement en France pourront se voir délivrer un titre de séjour... s'ils dénoncent leur passeur. Ce matin, Eric Besson, le ministre de l'Immigration a annoncé sur Europe 1 qu'il allait signer, ce jeudi, une circulaire par laquelle «nous allons donner aux préfets la possibilité d'accorder des titres de séjour provisoire aux clandestins victimes de filières clandestines qui décideraient de les dénoncer».«Mettez-vous à la place de ces immigrés illégaux, explique le ministre, ils sont aujourd'hui dans un statut qui ne leur permet pas de dénoncer leurs tristes conditions puisque, justement, ils n'ont aucune titre de séjour. Ils peuvent avoir peur d'aller voir la police ou la gendarmerie». «Avec le système que nous allons mettre en place, ajoute Besson, ils savent que s'ils dénoncent ceux qui les ont mis dans cette situation, ils peuvent obtenir instantanément un titre de séjour provisoire et coopérer avec la police». Une bonne idée? L'association France terre d'asile en doute (voir son communiqué). Stéphane Maugendre, le président du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti) aussi. Interview.

Pourquoi contestez-vous cette mesure?

La délation, par principe, est toujours sujette à caution. Sur un plan moral, c'est moralement condamnable. Et je pense que c'est aussi assez irréalisable. Un passeur c'est quoi? Ça va de celui qui fait inscrire sur son passeport comme son fiston quelqu'un qui ne l'est pas, au membre de la famille qui fait passer la frontière clandestinement à un cousin, à des trafiquants internationaux avec une organisation extrêmement perfectionnée comprenant la traversée de plusieurs pays jusqu'à l'arrivée en France dans un hôtel, la fourniture de faux papiers, le boulot, etc. Et tout ça est parcellisé, sécurisé. Les gens ne se connaissent pas les uns les autres. Le seul intérêt serait que l'étranger dénonce tout le réseau, mais comme il ne connaît que le petit passeur en bout de chaîne, quel intérêt? Et puis il risque d'y avoir des dérives, des mesures de rétorsion sur la famille restée au pays, des réglements de compte intra-familiaux. Le type qui dénonce va mettre en péril sa vie et celle de ses proches.

Pour l'étranger, quel est le poids juridique d'une circulaire?

C'est juste une instruction. En clair, la personne ayant dénoncé son passeur et qui se verrait refuser un titre de séjour par la préfecture serait démunie. Une circulaire n'a pas force de loi. Si elle porte l'affaire devant le tribunal administratif, c'est ce que lui dira le juge. Il faut arrêter de gouverner avec des circulaires. Sarkozy l'a utilisé pour la régularisation des parents sans-papiers d'enfants scolarisés, Hortefeux pour la régularisation des salariés. Qu'au moins Besson fasse une loi disant: s'il y a dénonciation, il y aura un titre de séjour.

Besson dit que «son objectif premier était de démanteler les filières», est-ce que cette mesure peut au moins avoir cet intérêt?

Les filières sont d'autant plus puissantes, gagnent d'autant plus d'argent que c'est difficile d'obtenir un visa. Plus les procédures sont longues, plus les gens entrent clandestinement en France. Besson arrive à son ministère, il faut bien qu'il annonce quelque chose. Mais cette mesure ne résoudra rien, c'est juste de l'affichage.