mardi 24 mars 2009

Jacqueline François, chanteuse

Jacqueline François, chanteuse

Jacqueline François était une femme du monde, au caractère exigeant et bien trempé. De 1945 à 1965, "Mademoiselle de Paris" - c'est aussi le titre de l'un de ses grands succès - avait incarné le chic parisien et la chanson française du Japon aux Etats-Unis, en passant par le Brésil. Millionnaire du disque à une époque où les meilleures ventes se comptaient en dizaines de milliers, incontestable ambassadrice de la France de l'après-guerre, l'interprète est morte le 7 mars à Paris, à l'âge de 87 ans, dans la plus grande discrétion.

Une discrétion volontaire : elle n'aimait pas les tralalas. Du reste, les années rock avaient eu raison depuis longtemps de sa célébrité.

Jacqueline Guillemautot était née le 30 janvier 1922 à Neuilly-sur-Seine. Aînée des cinq enfants d'une famille bourgeoise, elle reçoit une éducation stricte, qui inclut les cours de piano. Le père occupe un poste de direction aux brillantines Roja ("Pour être aimée, ayez du charme", ordonne la réclame). Dissidente, mais toujours bien élevée, Jacqueline François se produit dans les cabarets et séduit, car elle a une voix qui se révélera être l'une des plus belles de France. Claire, impeccable, avec un phrasé "américain", explique au Monde Charles Aznavour, dont elle fut l'une des premières interprètes au début des années 1950 (Sa jeunesse, On ne sait jamais...)

Jacqueline François comptera dans le début de notoriété d'Aznavour, tout comme Catherine Sauvage avait contribué à faire connaître Léo Ferré, ou Patachou, Georges Brassens. "Elle avait une oreille extraordinaire. Je l'ai croisée pour la première fois au Pont-Aven, un petit resto de marché noir. Elle chantait pour un maigre salaire et un sandwich, qu'elle nous donnait, car elle n'en avait pas besoin", raconte Charles Aznavour, avouant des "complicités anciennes et intimes" avec l'élégante Parisienne.

Au sortir de la guerre, Jacqueline François veut chanter "réaliste" comme ses pairs de l'époque, Renée Lebas (née en 1917), Léo Marjane (1912) ou Edith Piaf (1915-1963). En 1945, la jeune femme passe une audition pour la radio. Elle y croise le guitariste et compositeur Loulou Gasté, futur mari de Line Renaud, qui lui propose d'enregistrer deux de ses compositions. Gentleman et Ça n'était pas original (paroles de Françoise Giroud) sont gravés en 1947 sur deux 78 tours chez Sofradi.

En tournée, elle rencontre le docteur Henri Decker, qui devient son mari et le père d'un enfant unique, François. Henri Decker lui présente le musicien sétois Paul Durand, compositeur entre autres de Seule ce soir, un tube de Léo Marjane en 1941. Avec Jacques Canetti, directeur artistique de la maison de disques Polydor, Paul Durand va convaincre Jacqueline François d'abandonner le genre réaliste pour une chanson plus moderne, très empreinte de jazz, de rythmes latins et d'amour fleur bleue, à écouter les dimanches ensoleillés, alors que le pays redécouvre l'idée de bonheur après les horreurs de la guerre.

En 1954, elle se rapproche du pianiste et compositeur Michel Legrand croisé lors d'un Musicorama à l'Olympia, puis quitte Polydor pour Philips, laissant ses anciens anges gardiens, Canetti et Durand, sur la touche.

"LES LAVANDIÈRES DU PORTUGAL"

Jacqueline François est douée pour le succès : dès 1948, elle réussit à mettre sur toutes les lèvres C'est le printemps, reprise d'une chanson de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein, It Might as Well Be Spring, qui avait été créée en français par Jean Sablon plus discrètement. Puis elle rafle sa gloire commerciale à la vedette Renée Lebas quand Paul Durand s'allie à Henri Contet, l'un des auteurs phares d'Edith Piaf, pour écrire une mélodie élégante, Mademoiselle de Paris ("Son royaume, c'est la rue de Rivoli, son destin, c'est d'habiller les autres. On dit qu'elle est petite main"). Ils travaillent à partir du contre-chant de Bal de nuit, que Renée Lebas avait créé sans réussite. Même scénario avec Trois fois merci, de Pierre Dorsey et Michel Elmer, autre auteur attaché à Piaf, avec Tu n'peux pas t'figurer de Paul Misraki (créé par Suzy Delair). A chaque fois, les ventes s'envolent avec Mlle François.

Enorme succès aussi avec Les Lavandières du Portugal, de Roger Lucchesi et André Popp, qui lui vaudra son second Grand Prix du disque en 1955. "Elle a bâti le destin commercial de Polydor, explique Jérôme Collet, auteur d'un coffret, Mademoiselle de Paris (Mercury/Universal, 2002), car elle vendait beaucoup. Puis elle a contribué à la solidité des éditions Raoul Breton en chantant dans le monde entier des auteurs de la maison, comme Trenet, dont elle lança La Mer outre-Atlantique, ou Aznavour (aujourd'hui propriétaire des éditions Breton), lors de tournées, notamment en URSS et au Brésil, jusqu'à la fin des années 1960."

En 1950, Jacqueline François avait fait une première apparition aux Etats-Unis, où "elle finit par être davantage connue qu'Edith Piaf", se souvient Charles Aznavour pour qui la conquête de l'Amérique fut moins aisée. "Lors de son passage au Plazza de New York, la queue, impressionnante, faisait tout le tour du pâté d'immeubles". Elle y édita douze 33 tours, un record pour une chanteuse française. En scène, Piaf avait de la folie, une force indescriptible. Jacqueline François est chic, très américaine, de belle tenue. Liaisons grammaticales parfaites, diction impeccable. "Quand on est à l'étranger, on ne peut pas se permettre d'être mal habillée", disait d'un ton sec cette éternelle bien coiffée.

Qu'aura apporté Jacqueline François à la chanson française ? Réponse d'Aznavour : "La qualité, la rigueur du répertoire, la voix. Chaque chanson, même les "chansonnettes" qu'elle choisissait d'interpréter, était bien écrite, dotée d'une mélodie irréprochable." Elle s'est pourtant effacée, au seuil des années 1970, après vingt ans d'un succès inédit, apparaissant à peine à la télévision dans les émissions de Pascal Sevran. Sans doute faute d'avoir su entretenir sa légende.

 

Véronique Mortaigne


Dates clés

30 janvier 1922
Naissance à Neuilly-sur-Seine.

1948
"Mademoiselle de Paris" reçoit son premier Grand Prix du disque.

1955
Se voit décerner son second Grand Prix du disque pour "Les Lavandières du Portugal".

1974
"Quand on est une femme".

7 mars 2009
Mort à Paris.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Hommage de Lalalala.org à Jacqueline François : http://www.lalalala.org/livres.html