lundi 23 février 2009

La Guadeloupe expliquée à mes amis de métropole

Une grève contre la vie chère ?

Non. Pas vraiment.

Le collectif qui mène la grève est un ensemble de 49 associations syndicales, politiques, associations de consommateurs et associations culturelles. Elle a déposé (un mois avant le début de la grève générale, et personne n'a jugé bon de s'en préoccuper) un cahier de 146 revendications réparties sur 10 chapitres. Parmi ces chapitres, un (un seul !) concerne la vie chère.

Mais alors qu'est-ce que cette grève ?

Le collectif à l'initiative de cette grève s'appelle "LKP" : Lyannaj kont pwofitasyon (C'est du créole). Traduction "alliance contre le vol et les profits abusifs". C'est une mobilisation sans précédant. Le LKP parle de 100 000 personnes dans les rues (sur une population de 460 000, soit près du quart de la population). Au delà de la bataille des chiffres, une chose est sure : c'est historique. C'est la plus grande mobilisation de l'histoire de la Guadeloupe et chaque sortie du LKP crée un nouveau record. Depuis une semaine, la Martinique emboîte le pas, la réunion depuis deux jours, et la Guyane s'y prépare.

Qu'est-ce que la "pwofitasyon" ?

Surtout, ne pas traduire par "profit" (c'est un faux amis). La "pwofitasyon", ici peut se traduire comme je viens de dire par "profits abusifs". Dans le langage courant, "pwofitasyon" désigne l'abus de pouvoir qu'un puissant exerce sur quelqu'un dont il sait déjà qu'il est pus faible que lui, pour le rendre encore plus subordonné. L'exemple type, est celui des enfants dans la cours de récréation d'une école primaire. Les "grands" de CM2 peuvent exercer dans la cours des "pwofitasyon" sur les "petits" de CP, qui n'auront que leur yeux pour pleurer. (N'est-ce pas mignon, notre cher et tendre enfance ?)

Les domaines de "pwofitasyon" sont multiples chez nous :

Le constat est le suivant. En Guadeloupe, les prix sont beaucoup plus élevés qu'en France et donc parmi les plus élevés d'Europe et du monde. On constate (pour les mêmes enseignes et les mêmes produits) des écarts de plus de 100% que l'éloignement (il faut bien payer le transport) n'explique pas (exemple : 84% sur les pâtes alimentaires). Selon tous les experts, après analyse de la chaîne, de la production au caddie du consommateur, en passant par le transport, le surcoût par rapport à l'hexagone ne devrait pas dépasser 10%. Les différences de prix constatées ressemblent donc fortement à.... du vol organisé.

Quelques exemples de "pwofitasyon" dénoncés par le LKP :

  • L'essence que payait les guadeloupeéns était l'une des plus chère au monde. Il y a une crise internationale qui a fait exploser le cours du pétrole, certes, mais cela n'explique absolument pas le cours des prix en Guadeloupe (dans les DOM de manière générale). Aujourd'hui qu'un début lumière commence à être fait sur la question, plus personne ne le conteste.
  • Le LKP a présenté à l'état son expertise des méthodes de fixation des prix, résultat : tout le monde est d'accord sur le constat qui consiste à dire que les prix sont anormaux (même ceux qui sont contre la grève générale comme forme choisie pour le dénoncer) . Le secrétaire d'état aux DOM, monsieur Yves Jego envisage même une action en justice de l'Etat contre la SARA (Société Anonyme de Raffinage Antillaise) dont l'actionnaire principal (70%) est TOTAL. Vous m'accorderez sans doute que ce ne sont pas des nécessiteux. Et Jego (lui même), a dit que si après enquête, il est démontré que la SARA a perçu des sommes indues (ce sera probablement le cas), cette somme devra être remise aux guadeloupéens sous la forme d'un fond pour la formation professionnelle.

N.B : La SARA est en situation de monopole en Guadeloupe, pas de concurrence. C'est elle qui distribue l'essence.

 Quant aux prix de la grande distribution... une des pistes est de créer "un panier de la ménagère" constitué d'environ 100 produits sur lesquels la grande distributions n'aurait plus le droit de dépasser les prix de l'hexagone de plus de 10%, avec la création d'un organe bi-mensuel de contrôle des prix pour éviter de nouvelles dérives.

N.B : Les géants de la distribution sont en situation de quasi monopole. Il s'agit principalement du groupe Hayot (Bernard Hayot est dans le top 120 des fortunes françaises). En plus ils détiennent l'importation et ont le monopole de la distribution sur plusieurs grandes marques. Pour accentuer le problème, les quelques concurrents existants sont des groupes amis (cousins, alliances...) puisque ce circuit est aux mains d'une ethno-classe compacte et réduite(**).

(**) voir reportage assez édifiant de canal + "Les derniers maîtres de la Martinique"

Autre détail intéressant. Parmi les revendications sur le coup de la vie, il y a la baisse des tarifs des prestations bancaires. Et que s'est-il passé ? Dès que les banques en Guadeloupe (pourtant les mêmes que dans l'hexagone) ont pris connaissance des revendications les concernant, avant même que cette question ait été négociée, les banques ont adopté une baisse de leurs tarifs !! Permettez moi de penser que ça signifie que les tarifs étaient effectivement abusifs.

Le reste des revendications ?

Elles traversent TOUS les domaines de la société. Vraiment tout. Les 9 autres chapitres : Education, Formation professionnelle, Emploi, Droits syndicaux et liberté syndicales, Services publics, Aménagement du territoire et infrastructures, Culture, et enfin "pwofitasyon" (il s'agit de réclamer des mesures pour contrôler désormais les prix). J'appelle ça un mouvement sociétal. Si certains persistent à parler de vie chère...je n'y peux rien. C'est un véritable cahier de Doléances. Il parcourt l'ensemble des domaines de la société.

Rappelons que ces revendications sont au nombre de 146 et que le LKP a défini parmi ces 146, 19 à négocier immédiatement, puis d'autres qui demandent des réponses plus purement politiques voire institutionnelles, qui devront être débattues à long et moyen terme.

Je peux, si vous le souhaitez, vous envoyer ce cahier de revendications.

Mais alors... Pourquoi ne parle-t-on que de ces foutu 200€ que le LKP demande ?

Parce que cela fait partie effectivement des revendications et comme tout le monde s'y attendait, c'est le point qui bloque les négociations. Le LKP ne démord pas. Le patronat ne démord pas. Les positions se radicalisent.

Commentaire personnel : Je trouve ça dommage qu'un si beau mouvement bloque sur un point que je considère comme étant secondaire en terme de portée sociétale sur le futur de la Guadeloupe.

N.B : Il s'agit d'une augmentation de 200€ des bas salaires

Les guadeloupéens sont asphyxiés et meurent de faim alors ?

Mais pas du tout !! C'est cette question qui m'a poussé à écrire ce mail. Un ami métropolitain m'a appelé aujourd'hui pour me demander si on tenait le coup. Au début j'ai commencé à répondre que malgré la durée du conflit, la mobilisation était toujours de mise. Il me coupe : "Non, je voulais dire...Arrivez vous à remplir le réfrigérateur" !!

La Guadeloupe est en grève générale depuis bientôt 4 semaines. Les hyper marchés et super marchés sont fermés. En revanche les petits commerces de proximités sont ouverts, mais les rayons des magasins sont de plus en plus vides...

MAIS : La Guadeloupe s'organise. L'UPG (Union des Producteurs Guadeloupéens) ainsi que les pêcheurs font parti du LKP. Les poissons ne sont pas en grève : les pécheurs continuent à pêcher et à vendre leur poisson. Les animaux ne sont pas en grève : les éleveurs continuent à s'en occuper et à vendre leur viande. La terre n'est pas en grève : les cultivateurs continuent à travailler leurs exploitations et vendent leur denrées. Notre réfrigérateur n'a jamais été aussi plein.

Les hyper marchés sont fermés, mais les marchés sont ouverts. Il y a mieux : des marchés populaires sont organisés devant les piquets de grève et un peu partout. Les producteurs y vendent leur denrées aux prix auxquels ils ont l'habitude de vendre aux super marchés. Conséquence : ils ne perdent pas leur récolte ni leur revenus, et le porte feuille du consommateur apprécie puisque les marges exorbitantes de la grande distribution ne sont plus là.

Nous mangeons à notre faim et -fait intéressant- nous n'avons jamais autant consommé local !!
Je n'ai pas de purée mousseline, je n'ai plus de pâtes Panzani... et alors ? J'ai des tubercules, des légumes, de la viande, du poisson, des fruits frais, des fruits secs, des fruits de mer... Et ça coûte moins cher que d'habitude.
En fait, je crois que je n'avais jamais mangé aussi équilibré de ma vie.

Si vous n'avez jamais entendu tout ça, est-ce que la presse nationale fait de la désinformation ?

Je n'irai pas jusqu'à dire qu'on vous ment. Disons que parmi tout ce que les envoyés spéciaux des média nationaux voient, ils choisissent 5%, et le choisissent d'une manière assez surprenante.

La première semaine, ils n'en parlaient pas. La deuxième semaine, ils n'ont montré que des images de touristes dont les vacances ont été gâchées par cette grève (je suis sincèrement désolé pour eux, mais c'est la vie). Ils ont montré des rayons de super marché vide et ont semblé vouloir dire que la rupture des stocks créait le plus grand désarroi... Ils ont fustigé une grève qui - dit-on - pénaliserait de manière irrémédiable l'économie Guadeloupéenne.

Puis Le secrétaire d'état aux DOM est arrivé en Guadeloupe. Il y a carrément déplacé son cabinet et son staff.

La presse ne pouvait plus se contenter des mini sujets bâclés. Ils ont commencé à en parler un peu plus. Aujourd'hui, l'information que vous recevez est de plus en plus conforme à ce qui se passe.

Les "vrais" reportages font leur apparition. France inter a fait une longue émission dessus, j'ai pu voir un long article sur Elie Domota, porte parole du LKP dans je journal Le Monde. Libération a publié un long texte d'Ernest Pépin (écrivain Guadeloupéen)... Ça commence à changer. Pourtant, je suis persuadé que ceux qui ont tout lu de ce mail ont appris beaucoup de choses.

Pour les plus courageux, j'ajoute encore quelques points importants. Je quitte la description pour rentrer dans l'analyse (mais vous pouvez vous arrêter là).

Xénophobie ? Racisme ? Les slogans ?

Non, non, et trois fois non ! Le slogan principal repris depuis le 20 janvier en coeur par les manifestants :

"La Gwadloup sé tan-nou, la Gwadloup sé pa ta yo. Yo péké fè sa yo vlé, adan péyi an-nou"

Traduction littérale : " La Guadeloupe est à nous, La Guadeloupe n'est pas à eux. Ils ne feront pas ce qu'ils veulent dans notre pays"

Traduction plus usuelle : "La Guadeloupe nous appartient, elle ne leur appartient pas. Nous ne les laisserons pas faire ce qu'ils veulent dans notre pays."

La question qui inquiète certains : Mais qui est ce nous et ce eux ?
Nous = noirs ?
Eux = blancs ? Si oui, lesquels ? Les blancs en général (métropolitains) ou les "béké", descendants des maitres d'esclaves et qui ont su conserver leur domination économique et d'influence grâce aux héritages de génération en génération depuis l'époque esclavagiste, jusqu'à présent (sans la diluer dans le reste de la population car le béké fait souvent attention à "conserver la race" (**)

(**) revoir reportage assez édifiant de canal + "Les derniers maîtres de la Martinique

 Selon moi, il ne s'agit pas de ça. Moi qui vit ce mouvement de l'intérieur, moi qui reprend ce refrain avec joie depuis 4 semaines, je n'ai jamais désigné le blanc par ce "eux" et tous les gens de mon entourage sans exception sont du même avis.

 

 


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