vendredi 20 février 2009

Les "limogés du président" et la notion de "responsabilité"

Analyse par Jean-Baptiste de Montvalon
Le Monde


 
Responsable (latin responsum, de respondere, se porter garant) : Qui doit répondre de ses actes ou de ceux des personnes dont il a la charge." Telle est la première définition donnée par le Larousse au terme si souvent employé par Nicolas Sarkozy lorsqu'il veut traduire sa conception de la gestion des affaires publiques.

Remarque liminaire : le "responsable" est une personne. Exit les dossiers, évaluations, revendications, argumentaires ; bref, tout ce qui fait la complexité de la politique, que le chef de l'Etat présente comme une succession d'affaires personnelles. Cette simplification à laquelle se livre M. Sarkozy devant l'opinion est une première source de malentendus.

Comment comprendre en effet que la situation ne s'arrange pas alors que des "responsables" ont été désignés et sanctionnés ? Le doute risque fort de s'accroître au fur et à mesure que s'allonge la liste des limogés du président. Passons sur les motifs et le bien-fondé - parfois contestable - des sanctions prononcées. Que l'on sache, les moyens d'action des nationalistes corses n'ont pas été enrayés par le départ de Dominique Rossi, ex-coordonnateur des forces de sécurité sur l'île. Et le manque de moyens des hôpitaux psychiatriques n'a pas disparu après la suspension du directeur de l'établissement de Saint-Egrève, dans l'Isère.

La méthode, qui consiste à jeter en pâture quelques noms pour calmer la fringale présumée de l'opinion, peut - au mieux - avoir un effet placebo à court terme. Mais le risque est grand de la surenchère et/ou de la déception. D'autant qu'en désignant - pour les sanctionner - des responsables à tour de bras, M. Sarkozy risque fort de saper l'autorité liée à sa propre fonction.

On sait la propension de "l'omniprésident" à vouloir incarner à lui seul l'exercice du pouvoir. Le premier ministre - et le gouvernement derrière lui - a quasiment disparu de la "scène" politique, où se tient une sorte de one-man-show permanent. Pour justifier que lui soit reconnu un rôle prépondérant, M. Sarkozy a précisément invoqué ce principe de responsabilité.

"Plus la volonté politique s'affirme, plus la responsabilité politique doit s'affirmer aussi. Il ne peut y avoir de pouvoir fort sans responsabilité forte", soulignait le président de la République dans son discours sur les institutions prononcé à Epinal, le 12 juillet 2007. "Je souhaite que le président gouverne (...). Mais je souhaite que, dès lors, il soit amené à rendre davantage de comptes", insistait-il.

Ce faisant, M. Sarkozy pointait le problème essentiel des institutions de la Ve République. Instaurée en 1962, l'élection du président au suffrage universel lui a permis de prendre le pas sur le gouvernement, qui est pourtant seul "responsable" devant le Parlement. Accentué en ce début de quinquennat, ce hiatus se résume ainsi : le gouvernement est responsable, mais ne décide de rien. Le président décide de tout, mais n'est pas responsable.

Si la réforme des institutions adoptée le 21 juillet 2008 augmente à la marge les pouvoirs théoriques du Parlement, elle ne revient nullement sur l'irresponsabilité politique du président. Au demeurant, la seule piste évoquée par M. Sarkozy à Epinal, lorsqu'il se disait soucieux de "rendre davantage de comptes", était "la possibilité que (le président) puisse s'exprimer une fois par an devant le Parlement pour expliquer son action". Mais cet exercice de communication - auquel M. Sarkozy n'a pas eu recours pour l'instant - ne correspond nullement à la mise en jeu d'une quelconque responsabilité politique.

Celle-ci, comme le rappelait, à l'automne 2007, Bastien François, professeur de science politique à l'université Paris-I et cofondateur de la Convention pour la VIe République (C6R), "se mesure d'abord par rapport à l'état d'une relation qui se dénomme "confiance"". "Les gouvernants, précisait-il, doivent être en permanence en mesure de rendre des comptes sur l'usage qu'ils font ou ont fait de la confiance qui leur a été accordée." Mais, en France, nulle "question de confiance" (ou motion de censure) ne peut être déposée à l'encontre de notre président-arbitre, pourtant devenu un "président qui gouverne".

Pour défendre sa pratique du pouvoir, M. Sarkozy invoque son refus de l'hypocrisie. Lors de son entretien télévisé du 5 février, il a réaffirmé que ses prédécesseurs, du général de Gaulle à François Mitterrand, "décidaient", "y compris dans le détail". Sans doute. Tout au moins respectaient-ils les formes et les fonctions, comme celle de premier ministre. Ce qui avait pour effet de ménager à leur profit des "fusibles" fort utiles en période de crise.

Résumons : des responsables de peu sont sanctionnés par M. Sarkozy, qui entend lui-même être responsable de tout alors qu'il n'encourt aucun risque. Habitués à se voir livrer des "têtes" sur un plateau en toutes circonstances, les Français pourraient avoir envie que le président se prenne lui-même au mot. Il n'est pas sûr qu'il y songe. "L'histoire "responsable mais pas coupable", ce n'est pas mon genre", a certes déclaré le chef de l'Etat le 5 février. Mais il s'agissait du préfet de la Manche.

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