mercredi 21 janvier 2009

Obama attendu au tournant.

Pas possible d’y échapper. Main droite levée, l’autre posée sur la Bible: la photo de Barack Obama, le nouveau président des Etats-Unis prêtant serment, est dans tous vos journaux ce matin. «Barack Obama promet de reconstruire l’Amérique» titre sobrement le quotidien économique Les Echos. Plus incisif,l’Humanité«Obama l’Amérique face aux tempêtes».

«Reconstruction», «Promesse», «défis»: ces mots reviennent à longueur de colonnes ce matin dans la presse. Et si l’ensemble des éditorialistes saluent l’investiture du président Obama, certains évoquent leur scepticisme. «Enfin les difficultés commencent», lance ainsi Etienne Mougeotte dans le Figaro«Les Américains ont élu Obama pour conjurer la crise, relancer l’économie, sauvegarder leur logement, protéger leur retraite, améliorer leur assurance-maladie, défendre leur environnement».Bref, conclut l’éditorialiste, «Encore faudra-t-il que Barack Obama se donne les moyens de tenir ses promesses».

D'ailleurs, titre La Tribune«pour Obama, le redressement commence aujourd’hui». Au menu de cette première journée à la Maison Blanche: le retrait d’Irak, la fermeture du centre de Guantanamo et le plan anti-crise. «Le premier jour au pouvoir donne le ton d’une présidence» rappelle certains.

Des millions de personnes saisies par «l'Obamania»

La presse revient bien sûr en détail sur la cérémonie d’investiture qui a rassemblé hier près de deux millions de personnes sur le Mall à Washington. Le Parisien-Aujourd’hui en France retrace «le film du jour» de cette cérémonie millimétrée quand le Figaro raconte comment «toute la nuit, Washington a dansé dans les soirées chics et surpeuplées».

Libération propose une galerie de portraits de ces Américains«qui ont traversé le pays pour voir Obama». «C'est un jour de joie, pas seulement pour les Noirs mais pour tout le monde, il n'y a qu'à regarder autour de soi et l'on voit un vrai patchwork de gens de cultures différentes qui sont venus assister à cet événement incroyable.»

«Le temps d’une cérémonie dans un froid glacial, l’Obamania a réchauffé la planète toute entière» s'enthousiasme Hervé Cannet dans La Nouvelle République du Centre.

En France, aussi, on a fêté l’investiture d’Obama. Comme à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Interrogés par Le Parisien, une dizaine de jeunes racontent leur soirée. Scotchés devant leur télé, ils n’ont pas perdu une miette de la cérémonie. Et du discours d'investiture d'Obama.

«Un discours de crise»

Ce discours d’investiture justement est longuement commenté. Certains journaux, comme Libération ou le Figaro, publient le texte dans son intégralité. Pour Libération, Obama s'est posé en président de crise ouvrant «l'ère des responsabilités»«Point de grande envolée, point d’effet oratoire soulevant à dessein la foule»souligne Laurent Joffrin dans son éditorial. «Barack Obama a prononcé un discours sobre, réfléchi, loin du charisme hypnotique qui lui avait permis de lancer sa campagne.» 

Pour Michel Lépinay de Paris Normandie, Obama «a accompli l’exercice avec éloquence, faisant la synthèse de l’ensemble des positions développées pendant sa campagne électorale». Même tonalité dans La Presse de la Manche: le discours a été«généreux, rassembleur, pacificateur». Obama «incarne la fin d’un cauchemar, de la ségrégation et du racisme», écrit Jean Levallois.

mardi 20 janvier 2009

Suppose que tu n'existes pas, et sois libre


Tu n'as pas aujourd'hui de pouvoir sur demain;
L'anxiété de demain est inutile.
Si ton coeur n'est pas insensé, ne te soucie même pas du présent;
Sais-tu ce que vaudront les jours qu'il te reste à vivre?

Extrait des "Quatrains" d'Omar Khayyam

jeudi 15 janvier 2009

Quand Besson flinguait la politique d’immigration de Sarkozy

Il y a pile deux ans, Eric Besson, probable futur ministre de l’Immigration attaquait Nicolas Sarkozy - alors ministre de l'Intérieur - dans un ouvrage intitulé Les inquiétantes ruptures de M. Sarkozy. 

Les paragraphes du chapitre consacré à l’immigration portent des titres éloquents: «les lois sur l’immigration ou la production assurée de clandestins», «la loi du 26 novembre 2003 ou un échec reconnu à mi-mot», «la loi du 24 juillet 2006 ou le faux alibi de l’immigration choisie».


Au fil des pages, Besson se livre à un pilonnage en règle de la politique d’immigration de Sarkozy.

Morceaux choisis: «En supprimant ou en restreignant fortement les principaux dispositifs de régularisation, Nicolas Sarkozy se prive des outils permettant une régularisation au fil de l’eau et évitant ainsi les régularisations de masse. En d’autres termes, Nicolas Sarkozy fabrique des sans-papiers, lui qui prétend lutter contre l’immigration clandestine !» 

Autre morceau choisi: «La loi du 26 novembre 2003 avait deux objectifs selon le ministre de l’intérieur: “réformer la double peine” et “mettre un frein à la dérive des flux d’immigration créée par la loi Chevènement de 1998” en dotant l’État de “véritables outils de lutte contre l’immigration clandestine”». «On peut aujourd’hui mesurer l’échec de chacune de ces deux ambitions», conclut Besson.

Enfin, à propos de la loi de 2006 qui avait pour objectif de privilégier l’immigration «choisie» contre l’immigration «subie» en créant notamment la carte Compétences et talents: «On peut tout d’abord contester la pertinence d’une telle politique qui consiste à favoriser l’installation professionnelle en France des diplômés étrangers de niveau au moins égal au master et qui octroie une carte de séjour “compétences et talents”», écrit Besson. Au lieu de faciliter la circulation des étrangers par l’octroi de visas à entrées multiples, cette politique favorise l’installation définitive en France et participe au pillage des élites des pays en développement».

 

vendredi 9 janvier 2009

Vaniteux, faux modeste, grossier… Sarkozy a adressé ses vœux aux parlementaires.

Le même. Que les sarkophiles se rassurent : en ces premiers jours de 2009, leur grand homme n’a pas changé. Il est juste un petit peu plus content de lui-même encore qu’à l’accoutumée. A l’Elysée, où s’est tenu hier le Conseil des ministres (avec traditionnel échange de vœux du gouvernement) puis une cérémonie groupée de vœux présidentiels aux parlementaires et au conseil de Paris, Nicolas Sarkozy est apparu paré de ses meilleurs atours face à une assistance médusée : vaniteux, faux modeste, grossier avec son prédécesseur Jacques Chirac (traité - sans le nommer explicitement bien sûr - de «roi fainéant») et meilleur public de ses blagues recuites.

Durant ce pensum de plus de trois quarts d’heure, le député européen Jean-Marie Le Pen est allé deux fois se soulager aux toilettes de la salle des Fêtes. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a semblé bouillir intérieurement de ne pouvoir interrompre un chef de l’Etat lui servant du «Bertrand» pour mieux le ridiculiser sur «le Grand Paris» ou lui faire la leçon sur ce que devrait être l’opposition. Quant aux parlementaires de la majorité, ils doivent encore se demander ce qu’ils étaient venus faire au Palais. Comme à chaque fois qu’ils y sont convoqués, ils ont eu droit à leur cours magistral (avec force digressions) sur la crise financière et le rôle tout simplement génial - à l’entendre - joué par leur président pour éviter la catastrophe tant au plan national… que mondial. Avec ces ingrats de députés qui lui ont infligé un camouflet avec le texte sur le travail le dimanche, Nicolas Sarkozy a manié l’ironie en évoquant «l’absence d’affection des siens», le sentiment de «se sentir minoritaire dans sa propre famille». Avant de préciser : «Je ne dis pas ça à propos de moi.»

Pour le reste, il a promis une rallonge aux banques et s’est félicité de leur avoir tant prêté, une bonne affaire pour l’Etat, selon lui : «Y a-t-il un seul d’entre vous qui a placé ses économies à 9 % ?» Puis sont arrivés les couplets maintes fois ressassés sur les méchants capitalistes et leurs bonus, la pertinence de plan de relance (lire page 17) et sa soi-disant «dérive monarchique» : «On dit "omniprésident". Je préfère qu’on dise ça que "roi fainéant". On en a connu.» Enfin, la crise à Gaza, où le chef de l’Etat s’est félicité (en l’absence de «leadership américain», a-t-il dit) d’avoir obtenu avec l’Egypte l’ébauche d’une trêve quotidienne de trois heures entre belligérants. Le millésime Sarkozy 2009 s’annonce comme un grand cru.

 Antoine Guiral (Libération)

jeudi 8 janvier 2009

Egoprésident


Par Laurent Fabius

Je crois avoir été un des premiers, dès après son élection, à qualifier M.Sarkozy d’omniprésident. J’avais raison et j’avais tort.

Raison, parce que sa présidence se caractérise effectivement par une concentration des pouvoirs sans précédent. Un bon connaisseur a eu ce mot lapidaire et pertinent : « il décide de tout, tout seul, tout le temps ». Et il est vrai que le Premier Ministre et les ministres ont été transformés en collaborateurs ; que le Parlement, malgré la réforme constitutionnelle, est promis à devenir une chambre d’enregistrement ; que l’indépendance du judiciaire est placée sous menace quotidienne. Quant au pouvoir médiatique, en dépit de nombreux journalistes courageux, tout est fait, notamment ces jours-ci, pour le rendre docile.

Pour autant, le terme d’omniprésident n’épuise pas le fond du sujet. Car la vraie nature du sarkozysme ne consiste pas seulement dans cette monopolisation des pouvoirs, mais dans le fait que celle-ci a pour finalité elle-même. En politique intérieure comme extérieure, dans les affaires économiques comme sociales ou culturelles, le principal but de M.Sarkozy se révèle être…M.Sarkozy. Chaque chef de l’Etat, avec ses qualités et ses défauts, a consacré son mandat à une grande idée. De Gaulle, à « une certaine idée de la France ». Le président Pompidou, au développement industriel. Giscard, à la modernisation de la société. Mitterrand, à la construction européenne et Chirac au pacte républicain. La grande idée de M.Sarkozy parait être surtout lui-même. L’omniprésident est d’abord un égoprésident.

Cela ne signifie pas qu’on doive contester à l’intéressé l’énergie qu’il déploie. Ni que sa présidence ne puisse ici ou là rencontrer l’intérêt général. Mais son énergie est principalement consacrée à sa propre promotion. En ajoutant un codicille : les intérêts de ses proches ne sont jamais bien loin.

Si on a un doute, qu’on analyse donc sur un mois les décisions, les gestes, les mots de l’intéressé à travers cette grille de lecture de l’égoprésidence : tout s’éclaire.

mercredi 7 janvier 2009

Dante avec Abd Al Malik, Roméo et Juliette. Tout ça "c'est du lourd"

Après le succès non démenti de son album Gibraltar vendu à plus de 250 000 exemplaires, Abd Al Malik revient encore plus fort avec son 3 ème album : Dante. Le rappeur signe les paroles des 13 titres de cet opus spirituel mis en musique par Gérard Jouannet et Bilal pour les mélodies. Alain Goraguer quant à lui, arrangeur historique de bon nombre d'albums de Serge Gainsbourg, y pose aussi son empreinte "avec des arrangements à l'ancienne".



En général on donne pour titre à un album le nom d’une chanson, le nom d’un morceau de l’album. Cet album s’appelle « Dante ». Pourquoi ?


Cet album s’appelle « Dante » parce que c’est avant tout un état d’esprit, une manière d’être au monde et une envie de redéfinir quelque chose. En l’occurrence je dirais, toute proportion gardée et en toute humilité, que l’idée c’est d’amener quelque chose de différent, de décloisonner au niveau musical. Et de dire qu’il est essentiel de sortir de nos ghettos. Le rapport entre Dante et la culture populaire, de mon point vue, c’est lorsque Dante passe du latin au toscan en écrivant « La divine comédie ». Un savoir qui est réservé à une certaine élite est amené au plus grand nombre. D’une certaine
manière, c’est peut être un anachronisme, mais il crée une démocratisation du savoir. J’ai le sentiment que chaque artiste procède de la même manière.

Cet album, c’est toujours un album de rap, un album de slam, de chansons, d’autre chose, un album d’un autre genre ?
Cet album c’est tout simplement un album de rap. Je suis convaincu que c’est le rappeur qui fait le rap et non pas l’inverse.

Vous avez dans ce disque fait une fois de plus appel à des gens qui sont des références de la chanson « classique ». Vous avez un duo avec Juliette Gréco. Vous avez fait appel à Gérard Jouannest pour composer la moitié de l’album. Vous avez fait appel à Alain Goraguer, un arrangeur et compositeur historique de la chanson française. Pourquoi cet appel à ces grands ainés ?
Le fait de travailler avec ces grands ainés, le fait de travailler avec Juliette Gréco, Gérard Jouannest et Alain Goraguer, c’est dire qu’en France on a un patrimoine artistique et culturel merveilleux. L’idée, c’est de pouvoir préserver le patrimoine et cultiver la modernité. Il y a vraiment cette idée là. Tous ces grands artistes ne doivent pas finir dans un musée. On doit être capable de se nourrir de l’énergie, de leur dynamique, et pouvoir amener quelque chose d’aujourd’hui, et presque de demain. Si on veut faire quelque chose de pertinent et de riche, on ne peut pas faire comme si rien ne s’était passé, comme si on arrivait tout à coup. C’est ça qui est intéressant. Mes pères rappeurs au Etats-Unis se nourrissent de leur patrimoine, la soul music… Je trouve que notre patrimoine à nous est tout aussi riche. L’idée est de faire du lien et montrer qu’il est de notre devoir d’être dans la dynamique impulsée par ces héros, ces artistes. C’est de cette manière qu’on pourra selon moi faire quelque chose de pertinent, qui fait sens et qui est en phase avec la France telle qu’elle est aujourd’hui.

Est-ce que vous pouvez nous raconter comment vous travaillez avec Gérard Jouannest, et comment vous avez travaillé avec Alain Goraguer en studio ?
Ma manière de travailler avec Gérard Jouannest est assez simple. C’est une méthode qu’on a commencé dans mon album précédent « Gibraltar ». Gérard Jouannest se met au piano, il joue des choses. Et moi je dis « Tiens, ça c’est bien. Est-ce que tu peux le rejouer ? » Il le rejoue en boucle et moi je prends un stylo, une feuille et j’écris. Sa musique amène les mots, ça sort directement. On a procédé de cette manière là. Ensuite quand j’ai eu peaufiné mes textes et que j’ai pu les maquetter, c'est-à-dire des piano-voix, on a donné le tout à Alain Goraguer. Lui a rajouté les arrangements, tout le travail autour pour donner cette ampleur que je voulais donner. Ça s’est fait de façon assez fluide et simple. Tout était naturel. C’est comme si tous les trois on avait déjà travaillé ensemble. En l’occurrence, eux deux avaient déjà travaillé ensemble. D’ailleurs, c’est Gérard Jouannest qui m’a signalé que la première personne a lui avoir
donné du travail dans le métier c’était Alain Goraguer il y a plus de cinquante ans.

En studio, comment ça s’est passé ? Ils ont enregistré l’orchestre et vous avez posé votre voix dessus ? Comment ça s’est fait ?
En studio, ça s’est fait à l’ancienne. Les musiciens sont là. Alain Goraguer est chef d’orchestre sur le pupitre et dirige l’orchestre. Jouannest est au piano, moi derrière un micro. On se regarde, un deux trois, et on enregistre. Il y avait cette idée de faire quelque chose de vivant. Il y a des choses qui se passent dans les yeux, c’est merveilleux. Encore une fois, ça s’est passé de manière très fluide. Deux prises au maximum, pas plus. Deux prises et l’affaire était réglée, sur chaque morceau.

Ça veut dire que, comme il y a six chansons enregistrées avec l’orchestre, deux prises chacune, vous avez été deux jours en studio pour enregistrer la moitié de l’album ?
Non, on a enregistré en deux ou trois heures la moitié de l’album. Après on a fait des mises à plat mais ça a été très rapide. On a été une journée en studio et on a enregistré effectivement pendant deux heures. Le temps que les musiciens s’installent, les micros… Dès qu’on a commencé à enregistrer, c’est allé très vite. Alain Goraguer me disait que tout le monde travaillait comme ça avant. Ils faisaient des albums en deux jours, enregistrement et mixage le lendemain. Ça allait aussi vite que ça à l’époque. Aujourd’hui avec la technologie on peut faire plus de choses mais
bizarrement, ça prend quand même plus de temps. Moi j’ai bien aimé le faire à l’ancienne.

Vous aviez déjà travaillé à l’ancienne, avec les prises directes avec l’orchestre ? Vous avez jusqu’à présent surtout travaillé comme le font tous les gens dans le rap, en enregistrant longuement en studio. Qu’est-ce que ça apporte de travailler aussi vite, pour la voix, l’expression ?
Travailler aussi vite ça amène une certaine spontanéité et quelque chose de naturel. En termes d’émotion, il y a quelque chose d’inédit qui circule. C’est comme si on captait avec la même énergie qu’un live mais avec tous les arrangements qu’on peut faire avec un enregistrement studio. Il y a cette espèce de force qui se dégage en
termes d’émotion. C’est surtout à ce niveau là. En termes d’émotion, il y a quelque chose de beaucoup plus fort. Evidemment, moi je travaille en amont et eux également du coup ça facilite. Mais il y a quelque chose de l’ordre de la spontanéité, de la fraicheur et de l’inédit. Une magie, une étincelle que quelqu’un comme moi, qui a longtemps travaillé de façon classique avec les bandes, ne trouve pas. Il y a quelque chose qu’on ne retrouve pas. Un petit quelque chose de différent.

Est-ce qu’en travaillant avec ces gens là, vous avez le sentiment de continuer une tradition, une oeuvre ? Est-ce que vous avez l’impression qu’il n’y a pas d’interruption entre des gens comme Brel, Gainsbourg qui ont travaillé avec
Goraguer et vous, ce que vous êtes en train de faire ?

J’ai le sentiment lorsque je travaille avec Gérard Jouannest et Alain Goraguer de continuer quelque chose, d’être dans une tradition, mais sans prétention aucune. L’idée est de dire que ces grands artistes qui nous ont précédés nous ont donné quelque chose en relai. J’ai ce sentiment en tout cas. Ce qu’ils nous ont donné en relai, je pense qu’il ne s’agit pas de le laisser dans un musée ou de le regarder comme quelque chose d’indépassable. Il s’agit juste d’être dans la même énergie, dans cette envie, dans ce même élan à la fois artistique et, pour citer Brel, « aussi ne pas être à
vendre ». Juste être un artiste. Encore une fois, je le dis sans prétention aucune. Il ne s’agit pas de les dépasser ou d’être à leur niveau. Il s’agit d’être soi. J’ai le sentiment que c’est ce qu’ils nous apprennent, la singularité. Le fait de ne pas avoir peur d’être soi. C’est merveilleux si on peut se nourrir de leur travail, de ce patrimoine merveilleux
et que chacun apporte sa particularité. C’est ça qui m’intéresse.

Abd Al Malik- 3Dans « Gibraltar », il y avait cet hommage direct à Jacques Brel. Dans cet album, il y a des hommages et des allusions directes à d’autres grands artistes de la chanson française. Il y a « Paris mais », qui est une évidente référence à Claude Nougaro. Nougaro est un personnage important pour vous ?
Nougaro est un personnage que j’ai découvert. Il y a même une petite histoire. Avec Bilal des NAP, qui a composé l’autre partie de l’album et qui m’accompagne toujours depuis NAP, on était en concert à Toulouse et notre accompagnateur était un fou de Nougaro. On connaissait Nougaro sans plus et lui nous disait « Nougaro, Nougaro… ». Bilal me dit qu’il va aller acheter l’anthologie de Nougaro pour qu’on en finisse. Il part avec l’anthologie, il l’écoute et il m’appelle pour me dire « Tu sais, Nougaro c’est vraiment bien, il y a des choses à faire ». Il me fait écouter les morceaux et c’est merveilleux. C’est vrai que pour moi Nougaro est un monument mais ce n’est pas un
artiste vers lequel j’allais naturellement. J’ai découvert, je me suis dit que c’était merveilleux et qu’il fallait en faire quelque chose. J’ai fait « Paris Mais » en référence à son « Mais Paris », de la même manière que j’ai fait les autres sur la référence de Jacques Brel. Il s’agit de rendre hommage et d’amener la touche d’aujourd’hui, et de montrer que ce qui est merveilleux dans l’art en général, c’est cette possibilité de l’intemporalité. L’émotion traverse le temps et traverse les âges. Bilal et moi on a voulu rendre hommage à Nougaro de cette manière là.

Il y a un titre en hommage à Aimé Césaire. Aimé Césaire est mort alors que vous étiez en train d’écrire et de réaliser l’album. C’est un hommage très fort que vous lui rendez. Pour vous, qui est Aimé Césaire, le théoricien de la négritude ou d’abord un poète, un homme politique ?
Concernant Aimé Césaire, la petite histoire est la suivante. Aimé Césaire est mort, c’est ce dont je parle dans le texte. Moi je suis au Maroc, je zappe à la télé et je vois les différents hommages qu’on lui rend. On parle de lui en tant qu’homme politique, en tant que théoricien de la négritude… Et j’ai le sentiment que ce n’est pas suffisant, que ce n’est pas que ça. J’ai l’impression que rendre véritablement hommage à Aimé Césaire c’est parlé du discours sur le colonialisme et de l’immense poète qu’il est. Le fait qu’il soit le théoricien de la négritude, ou homme politique, c’est un accident dû au contexte. S’il était né aujourd’hui ou un siècle plus tard, c’était le même grand poète, ça ce n’était pas un accident. Pour moi, lui rendre véritablement hommage c’est connaître ses poèmes, le connaître en tant que grand poète qu’il était. Immense poète français. Je me suis dit qu’humblement j’allais dire ce que représente
intellectuellement, idéologiquement, philosophiquement Césaire pour moi et dire que tout ça n’a pas d’importance. C’est pour ça qu’à la fin du texte je dis qu’il faut rendre à Césaire ce qui appartient à Césaire et je déclare l’un de ses poèmes. Pour moi rendre un hommage à Césaire c’est ça.

La pochette, le packaging de l’album est extrêmement soigné. C’est une tendance actuellement pour les artistes majeurs de faire des disques très soignés. Vous tenez beaucoup à l’objet CD ? Vous vous accoutumez au fait que les disques pour beaucoup de gens sont uniquement numériques ?
Je tiens énormément au disque objet. Pas tant parce qu’on est dans le téléchargement ou dans le virtuel aujourd’hui. Pour moi c’est tout aussi important et j’ai toujours fait en sorte d’avoir un objet soigné. Pour moi, un beau papier cadeau augure d’un beau cadeau.

Un des chocs à l’écoute de votre album, c’est « Le conte alsacien ». Vous rappez en Français et soudain vous vous mettez à rapper en langue alsacienne. Pourquoi ? Comment est-ce arrivé ?
Dans « Le conte alsacien », le fait de rapper en alsacien était une envie depuis très longtemps. Mais il manquait la musique. J’étais avec Gérard Jouannest, il me joue quelque chose et je lui dis « Voilà, c’est ça ! ». C’est ce morceau que j’attendais depuis longtemps pour poser en alsacien. C’est une espèce de valse alsacienne et c’est venu
naturellement. Dans « Le conte alsacien », je parle de l’histoire de ma famille, de mes parents. Ce qui m’intéressait, c’est ce paradoxe qui n’est en pas un. Mes parents sont originaires du Congo Brazzaville, ils sont arrivés en Alsace et ils ont fait leur vie en Alsace. Je voulais montrer qu’on s’approprie une terre quand notre coeur bat à l’unisson avec cette terre, avec ce peuple. Mais parents, moi-même et nous tous, on se sent véritablement alsaciens. En même temps, nos racines africaines et congolaises comptaient et comptent toujours énormément. Je voulais mettre cette
complexité sur ce conte alsacien. C’était naturel de parler en alsacien.

Ce disque parle énormément de la France, de l’identité française, de la culture française, du drapeau français. Est-ce que vous pourriez dire que vous êtes une sorte de patriote ?
Totalement. J’ose le dire et je le dis haut et fort : je suis un patriote. Toute ma démarche artistique est le prolongement de ça. J’explique ça artistiquement, le fait que de mon point de vue, tout trouve son origine dans la culture. C’est la culture qui donne la flamboyance. J’ose dire que je suis un patriote. Et j’ai vraiment le sentiment qu’il y a un génie français, quelque chose qui nous donne une particularité. Il y a quelque chose qui dans le monde nous positionne d’une manière particulière. Ce qui est merveilleux c’est que la richesse et la diversité de la communauté nationale donne encore plus de force à ce génie français. Elle donne encore plus de richesse à ce génie français. C’est ce que j’ai envie de faire avec ma musique, porter le drapeau.

Est-ce que c’est un disque politique ?
C’est un disque éminemment politique, c’est un disque citoyen. Ce n’est pas un disque politique au sens politique politicienne. C’est un disque militant au sens sartrien du terme, et en même temps un disque éminemment spirituel.

Vous faites allusion dans votre disque à beaucoup d’écrivains, Dante, Deleuze, Sartre, Aimé Césaire. Quand on dit que Malik est un intello, vous l’acceptez ?

Moi je dis que Malik est juste Malik tel qu’il est. Chacun y va de son étiquette mais moi je suis juste moi. Après c’est une question de perspective. La musique que je fais, j’ai le sentiment et je l’ai vu, elle peut sauver des vies. Sans prétention aucune. Moi quand j’étais gamin, il y a des artistes qui m’ont donné envie de lire des bouquins, qui m’ont
questionné sur moi même, qui ont participé au fait que j’avance. J’ai envie d’être de ceux là. Je pense qu’un artiste n’est pas là pour amener de la facilité mais de la complexité. C’est mon point de vue et je suis là pour ça, amener de la complexité.

Abd Al Malik 2Vous dites que vous voulez amener de la complexité. Il se trouve que le monde dans lequel on vit est lui aussi de plus en plus complexe. Est-ce que ça ne serait pas plus facile de faire comme beaucoup d’autres et donner des solutions simples, avec des slogans. Parfois vous avez des positions courageuses, difficiles, audacieuses. Est-ce que vous n’avez pas parfois la tentation de faire simple avec des gros slogans?
Un artiste ne vit pas à côté ou en périphérie de la société. Un artiste est traversé par les remous, les mouvements de la société et du monde. De mon point de vue, un artiste est une sorte de pythie, ou d’oracle. Parfois on dit des choses qui nous dépasse, des choses qu’on vit. A partir de là, ce qu’on va dire sera forcément en lien avec le quotidien et les préoccupations du peuple, des gens. Je ne peux donc pas me forcer à faire quelque chose de simple ou de différent. Je suis tout simplement moi. Je souffre avec tout le monde, j’ai les préoccupations de tout le monde ; ce que je vais
dire et écrire sera connecté aux préoccupations de chacun. Ça sera connecté à mes propres préoccupations. Je ne peux pas faire semblant. J’ai un devoir impérieux d’être moi.

Est-ce que vous pouvez nous parler de votre duo avec Juliette Gréco ?

Je voulais depuis longtemps travailler avec une rappeuse. Depuis le début, je me suis dit que j’allais travaillé avec la rappeuse numéro un en France. Et cette chanteuse s’appelle Juliette Gréco. J’ai eu cet extrême honneur de travailler avec elle. C’est ce que je peux dire.

Vous avez aussi travaillé en couple, vous avez écrit et enregistré avec Wallen. Ça s’est passé comment ?
Le travail avec Wallen c’est toujours très simple. On ne prépare pas. Elle a sa carrière et moi j’ai la mienne, il y a une sorte d’émulation, on regarde le travail de chacun. En studio, elle est venue quand on faisait « Paris mais », elle écoute, elle dit « tu pourrais faire ça en refrain, transformer le refrain comme ça… ». Je lui dis qu’elle peut le faire
et elle le fait. Ça se passe comme ça, pareil je vais la voir en studio. Dans le morceau « Raconte-moi Madagh », je lui ai dit : « Si tu devais m’écrire quelque chose, à la fois en musique et paroles, qu’est-ce que tu ferais ? ». Un jour, elle me dit de venir en studio et qu’elle a quelque chose. Sur ce morceau, on est de grands admirateurs du travail de Thom Yorke. C’est un peu inspiré de ça.

Il y a un titre que nos amis du sud vont forcément remarquer, c’est « Le Marseillais », une chanson bouleversante. Marseille et l’esprit marseillais, c’est important pour l’homme et le rappeur Malik ?

Marseille est doublement important pour moi. C’est important pour l’homme Malik parce que j’ai des amis à Marseille. Mon manager vient de la région, il m’a fait connaître et aimer cette région. C’est important pour l’artiste Malik parce qu’à chaque fois que j’y ai fait un concert, il y a une sorte d’accueil et de chaleur particulière. Ils me reçoivent comme si j’étais l’un des leurs et ça c’est merveilleux. Et il y a cette histoire que je raconte dans « Le marseillais ». C’est un marseillais qui est venu chez nous en Alsace, à Strasbourg. Je raconte son histoire. Lui nous parlait de Marseille. Pour moi Marseille était quelque chose de merveilleux. Le jour où j’ai vu Marseille véritablement, j’ai vu et j’ai compris qu’il avait raison, Marseille a un esprit particulier. Un esprit proche, différent mais proche, de l’esprit alsacien. J’ai l’impression que le particularisme c’est une chose, mais à l’intérieur il y a quelque chose qui fait le lien. Il y a une identité forte où on se retrouve. Je me suis retrouvé à Marseille, comme lorsque je suis chez moi en Alsace. Cette ville résonne particulièrement pour moi.


 Interview réalisée par Bertrand Dicale

mardi 6 janvier 2009

L'ennemi

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

– Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !


Charles Baudelaire

dimanche 4 janvier 2009

ET SI OBAMA ETAIT AFRICAIN ?

note d’espoir de Clotaire T-L, Douala, Cameroun

Les Africains ont jubilé avec la victoire d’Obama. Je suis l’un d’eux. Après une nuit sans fermer l’œil dans la pénombre irréelle de l'aube, des larmes ont jailli de mes yeux quand il a prononcé son discours de victoire. Moi aussi j’avais gagné. Le bonheur m’avait déjà envahi quand Nelson Mandela avait été libéré et que le nouvel homme d’État allait consolider un chemin de dignité pour l’Afrique.

Dans la nuit du 5 novembre 2008, le nouveau président nord-américain n'était pas seulement un homme qui parlait, c'était la voix étouffée de l'espérance qui se dressait à nouveau, libre, en chacun de nous. Mon cœur avait voté. Habitué à demander peu, je fêtais une victoire démesurée. Quand je suis sorti dans la rue, ma ville s'était comme transportée à Chicago, Noirs et Blancs respirant, communiant dans un même étonnement de bonheur. Car la victoire d’Obama n'était pas la victoire dune « race » sur une autre : sans la participation massive des Américains de toutes les couleurs, y compris de la majorité blanche, les États-Unis d'Amérique ne nous auraient pas donné cette raison de tant espérer.

Dans les jours qui ont suivi cette victoire, j'ai entendu les réactions euphoriques venant des quatre coins de notre continent, des personnes anonymes, de simples citoyens voulaient témoigner de leur bonheur. En même temps, j’ai pris note, avec une certaine réserve, des messages de solidarité des dirigeants africains qui presque tous appelaient Obama « notre frère ». Tous ces dirigeants étaient-ils vraiment sincères ? Obama est-il apparenté à tant de gens politiquement si divers ? J'ai quelques doutes dans notre fébrilité à ne voir des préjugés que chez les autres, nous ne sommes pas capables en effet de voir nos propres sentiments racistes et nos xénophobies. Dans notre urgence à condamner l'Occident, nous oublions d'accepter les leçons qui nous parviennent de l'autre côté du monde.

Si Obama était africain, un de ses concurrents mettrait en place une modification de la Constitution pour prolonger son mandat au-delà du terme prévu pour le sien et notre Obama devrait attendre encore de longues années pour pouvoir à nouveau se porter candidat. Si nous tenons en effet compte de la permanence au pouvoir en Afrique d'un même président, cela ne représente rien moins que 41 ans au Gabon, 39 ans en Libye, 28 ans au Zimbabwe, 28 ans en Angola, 27 ans en Egypte, 26 ans au Cameroun… Bref, une quinzaine de présidents au pouvoir sur notre continent pendant plus de 20 années consécutives ! Mugabe, par exemple, aura 90 ans quand il terminera son mandat actuel. Mandat qu'il a imposé au mépris du verdict populaire !

Si Obama était africain, il est probable qu'il serait le candidat d'un parti d'opposition et n'aurait alors même pas la possibilité de faire campagne. Les choses se passeraient comme au Zimbabwe ou au Cameroun. Il serait agressé physiquement et harcelé psychologiquement, il pourrait être emprisonné et dans le même temps on lui retirerait son passeport. Les petits « Bush » africains ne tolèrent pas d'opposition, ne tolèrent pas la démocratie.

De tout ceci, la vérité c'est qu’Obama n'est pas africain, la vérité c'est que les Africains, les gens simples, les travailleurs anonymes ont commémoré de toute leur âme la victoire d’Obama. Mais je ne crois pas que les dictateurs et les corrompus d'Afrique aient le droit de s'inviter à cette fête. Le jour même où Obama a confirmé sa victoire dans les médias internationaux, les mauvaises nouvelles d'Afrique continuaient à s'amonceler : l'Afrique continuait à être victime de guerres, de mauvaises gestions, de l'ambition démesurée de politiciens cupides. Après avoir assassiné la politique, dans certains cas il ne reste que la guerre, dans d'autres l'abandon et le cynisme.

Il n’y a qu'une façon de célébrer la victoire d’Obama dans les pays africains, c'est en luttant pour que de nouveaux signes d'espoirs puissent naître ici sur notre continent, c'est en luttant pour que les Obama africains puissent aussi sortir vainqueurs et que nous Africains de toutes ethnies vainquions avec ces Obama-là et puissions célébrer chez nous ce que nous célébrons aujourd'hui chez les autres.

samedi 3 janvier 2009

Dorsal bossal


il y a des volcans qui meurent
il y a des volcans qui demeurent
il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent
il y a des volcans fous
il y a des volcans ivres à la dérive
il y a des volcans dont la gueule émerge de temps en temps
véritables chiens de mer
il y a des volcans qui se voilent la face
toujours dans les nuages
il y a des volcans vautrés comme des rhinocéros fatigués
dont on peut palper la poche galactique
il y a des volcans pieux qui élèvent des monuments à la gloire des peuples disparus
il y a des volcans vigilants
des volcans qui aboient
montant la garde au seuil du Kraal des peuples endormés
il y a des volcans fantasques qui apparaissent et disparaissent
(ce sont jeux lémuriens)
il ne faut pas oublier ceux qui ne sont pas les moindres
les volcans qu’aucune dorsale n’a jamais repérés et dont la nuit les rancunes se construisent
il y a des volcans dont l’embouchure est à la mesure exacte de l’antique déchirure.


Aimé Césaire.

vendredi 2 janvier 2009

El Desdichado



Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule
Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le
Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La
fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.


Gérard de Nerval

Qu'en avez-vous fait ?


Vous aviez mon coeur,
Moi, j'avais le vôtre :
Un coeur pour un coeur ;
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur :

Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,

Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'amour ?

Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !...

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l'on vous dira :
" Personne !... elle est morte. "
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra ?

Marceline Desbordes-Valmore

jeudi 1 janvier 2009

La multiplicité de mes indignations


A mon âge, je ne peux pas être avare de mes indignations. Il y a quelques jours, le pseudo-humoriste Dieudonné offrait au Zénith un spectacle où il avait invité Robert Faurisson, et mis en scène un homme vêtu d’un pyjama rayé. En même temps, Israël bombarde la bande de Gaza.

Pour moi, on ne doit pas laisser impuni le spectacle abject de cinq mille personnes ovationnant le négationniste Faurisson, mais en même temps on ne peut qu’être scandalisé par l’absence de toute sanction à l’égard d’un Etat - un gouvernement intérimaire - celui d’Israël, massacrant des enfants palestiniens.

On connaît Dieudonné, c’est un hurluberlu que personne ne peut respecter, et cela n’est pas pour moi le plus grave. Le pire, ce sont ses cinq mille ovationneurs. J’ai 92 ans, et il m’est insupportable de voir que l’horreur de l’extermination des juifs par les nazis puisse aujourd’hui fournir un prétexte à faire rire. Les médias ont d’ailleurs considérablement réagi contre ce qui s’est passé au Zénith. Il va maintenant y avoir une poursuite judiciaire, donc on ne peut pas dire que l’affaire ait été passée sous silence. Cela dit, cette poursuite conduira à une nouvelle sanction dont Dieudonné se fiche visiblement. Ce sont les cinq mille spectateurs qui la mériteraient, car ils ont bafoué les droits de l’homme tels que les ont violés les nazis.

Mettre en parallèle ce qui s’est passé au Zénith et ce qui se passe à Gaza cette prison à ciel ouvert), est une double indication: celle qui nous oblige à rester vigilants sur ce qui est de l’antisémitisme, mais aussi celle qui nous impose de rester combatifs sur la violence sioniste et israélienne tout à fait inacceptable en terme de droit international.
On dit que parmi les cinq mille spectateurs du Zénith, se trouvaient beaucoup de jeunes Français d’origine arabe qui s’identifient aux jeunes de la bande de Gaza. Raison de plus pour ne pas laisser passer une démonstration comme celle-là. Mais ça ne me paraît pas vraisemblable et la présence de Jean-Marie Le Pen dans l’assistance suffit à démontrer que le public était essentiellement constitué de membres de l’extrême droite.

Mais c’est Israël surtout qui me préoccupe. Il est incroyable d’entendre l’ambassadeur d’Israël en France dire, comme il l’a fait hier sur France Inter, que 500 000 Israéliens vivent sous la terreur depuis six ans. Que nous ayons laissé sans sanction internationale le gouvernement israélien ces cinq dernières années et encore tout récemment, constitue également un crime contre les droits de l’homme. En tant que porte-parole de la Déclaration universelle, je suis personnellement scandalisé par cette impunité. Si la communauté internationale doit intervenir en Israël c’est parce qu’elle est liée par les résolutions du Conseil de sécurité, et parce qu’on a promis à Annapolis. Or elle ne fait absolument pas face à ses obligations internationales.

Pourquoi est-elle quasi silencieuse ? Parce qu’elle est intimidée par Israël, elle redoute de se faire traiter d’antisémite, elle craint qu’on ne fasse pas toute sa place à ce peuple qui a été tellement martyrisé. Cela va à l’encontre même des valeurs du judaïsme qui sont des valeurs d’ouverture, de liberté et de réconciliation des religions : autant de mérites niés par le gouvernement israélien depuis la fin de la guerre des Six jours. La politique israélienne a combattu ceux qui militaient pour la paix (l’OLP, Oslo) et favorisé les partisans de la violence, plus crédibles, selon elle, à l’égard de la population. Si la communauté internationale n’intervient pas, on court à la catastrophe - déjà présente et meurtrière pour les Palestiniens - et à plus long terme pour Israël : car tant qu’Israël ne trouvera pas la voie vers deux Etats partenaires, il aura lui-même miné sa possibilité de survie dans le Proche-Orient.

Et il est faux de prétendre que le Hamas ne veut pas discuter. Comme l’a rappelé Marek Halter dans le Figaro d’hier, le Hamas a déjà clairement laissé entendre qu’à condition de s’en tenir à l’intérieur des frontières définies en 1967, il était prêt à reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël.

Il ne faut pas avoir peur de la multiplicité de ses indignations. Ma génération qui a connu la Shoah et qui en a été affectée parmi ses proches et ses amis ne peut pas rester insensible, elle ne peut pas accepter, elle doit protester contre tout ce qui met en cause l’horreur de cette période.


Stéphane Hessel ambassadeur de France

Stéphane Hessel, né à Berlin le 20 octobre 1917, est un ancien résistant rescapé des camps d’extermination de Buchenwald et de Dora. Il a assisté à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Dernier ouvrage :Citoyen sans frontières, entretien avec Jean-Michel Helvig, Fayard.

Elégie

J'étais à toi peut-être avant de t'avoir vu.
Ma vie, en se formant, fut promise à la tienne ;
Ton nom m'en avertit par un trouble imprévu ;
Ton âme s'y cachait pour éveiller la mienne.
Je l'entendis un jour et je perdis la voix ;
Je l'écoutais longtemps, j'oubliais de répondre ;

Mon être avec le tien venait de se confondre :
Je crus qu'on m'appelait pour la première fois.
Savais-tu ce prodige? Eh bien! Sans te connaître,
J'ai deviné par lui mon amant et mon maître,
Et je le reconnus dans tes premiers accents,
Quand tu vins éclairer mes beaux jours languissants.
Ta voix me fît pâlir, et mes yeux se baissèrent.
Dans un regard muet nos âmes s'embrassèrent ;
Au fond de ce regard ton nom se révéla,
Et sans le demander j'avais dit:
"Le voila !"Dès lors il ressaisit mon oreille étonnée ;
Et y devint soumise, elle y fut enchaînée.

J'exprimais par lui seul mes plus doux sentiments ;
Je l'unissais au mien pour signer mes serment.
Je le lisais partout, ce nom rempli de charmes,
Et je versais des larmes.D'un éloge enchanteur toujours environné,
A mes yeux éblouis il s'offrait couronné.

Je l'écrivais... bientôt je n'osais plus l'écrire,
Et mon timide amour le changeait en sourire.
Il me cherchait la nuit, il berçait mon sommeil,
Il résonnait encore autour de mon réveil :
Il errait dans mon souffle, et, lorsque je soupire,
C'est lui qui me caresse et que mon coeur respire.
Nom chéri! nom charmant! oracle de mon sort !
Hélas! que tu me plais, que ta grâce me touche !
Tu m'annonças la vie, et, mêlé dans la mort,
Comme un dernier baiser tu fermeras ta bouche.

Marceline Desbordes-Valmore