lundi 30 juillet 2007

La très fragile et difficile réconciliation ivoirienne


Pour la première fois depuis 2002, Laurent Gbagbo se rend à Bouaké, ex-capitale rebelle



Laurent Gbagbo (D), le Président ivoirien avec son Premier ministre, Guillaume Soro à Abidjan le 13 juillet.

Sous la «Flamme de la paix» couvent les braises de la suspiscion entre le président ivoirien Laurent Gbagbo et son Premier ministre, l’ex-chef des ­rebelles Guillaume Soro. Les deux anciens adversaires, désormais officiellement alliés, assisteront, aujourd’hui à Bouaké (centre), à une cérémonie hautement symbolique, baptisée «Flamme de la paix» : un autodafé d’armes à feu censé marquer le début du désarmement dans le nord de l’ancienne colonie française et la réunification du pays.

C’est la première fois, depuis la tentative de coup d’Etat de septembre 2002 contre Laurent Gbagbo et la partition du pays qui s’ensuivit, que le président ivoirien se rend à Bouaké.

Haute protection.

En octobre 2002, puis en novembre 2004, son armée avait tenté, en vain, de reprendre par la force le fief des rebelles. Cette fois-ci, il s’y rend pacifiquement, mais sous haute protection. La sécurité de la céré­monie est assurée par les Casques bleus déployés en Côte-d’Ivoire, par les soldats français de la force Licorne, mais aussi conjointement par les forces ivoiriennes gouvernementales et celles des Forces nouvelles (ex-rebelles).

Selon Abidjan, sept chefs d’Etat africains sont attendus, dont le président sud-africain Thabo M’beki. Pour en arriver là, Laurent Gbagbo a signé au Burkina Faso, en mars, «l’accord de Ouagadougou» avec Guillaume Soro.

Ce document, qui reprend l’essentiel des accords de paix précédents restés lettre morte, dont celui de Marcoussis (janvier 2003), prévoit le désarmement des rebelles et des milices loyalistes, l’identification des populations, avant la tenue d’élections crédibles et transparentes, en théorie avant la fin de l’année.

Illusion

Dans un premier temps, il avait fait souffler un vent d’euphorie en Côte-d’Ivoire, où chacun se dit «fatigué» du conflit et n’aspire plus qu’au retour à une vie normale. On a même vu les jeunes patriotes, proches du président ivoirien, fraterniser avec les ex-rebelles.

Mais l’attentat qui a visé, le 29 juin, l’avion du Premier ministre Soro sur le tarmac de l’aéroport de Bouaké, faisant quatre morts dans sa délégation, a mis un terme brutal à la douce illusion d’une harmonie retrouvée du jour au lendemain. «Depuis lors, tout le monde s’épie, confie un diplomate étranger à Abidjan. La confiance est retombée à zéro et le processus de paix est de nouveau au point mort.»

Le commando qui a tiré trois roquettes sur l’appareil, dont une seule a explosé, s’est évanoui dans la nature, et la Côte-d’Ivoire attend désormais fébrilement les résultats de l’enquête confiée, d’un commun accord, par Soro et Gbagbo aux Nations unies.

Car certains faits troublent les esprits, notamment dans le camp du Premier ministre. Le 29 juin, l’équipage du Fokker 100, prêté à Soro par le Président, a été changé au dernier moment avant le décollage d’Abidjan, et plusieurs sources affirment qu’un ministre proche de Laurent Gbagbo a annulé in extremis sa participation au voyage. Une demi-heure après l’attaque, l’avion regagnait Abidjan, sans avoir été expertisé.

Manœuvre

«Tout ceci ne fait pas un coupable, mais aucune hypothèse n’est à exclure, pas même celle de la manipulation», dit une source diplomatique. Celle d’un coup parti d’un petit chef rebelle craignant de perdre sa rente de situation avec le retour à la paix semble, de l’avis général, avoir fait long feu. Dans l’entourage de Guillaume Soro, on ménage le Président, sans écarter formellement une manœuvre des radicaux de son camp.

«Nous avons vu Gbagbo à la veille du premier Conseil des ministres tenu à Abidjan après l’attentat : il avait l’air très préoccupé, mal physiquement», confie un conseiller du Premier ministre. Selon lui, le chef de l’Etat leur aurait déclaré : «Je sais que tous les regards se tournent vers moi, c’est pourquoi je veux que l’enquête aille jusqu’au bout.» Un observateur attentif des soubresauts ivoiriens confie : «Chaque fois que le processus d’identification devant conduire à des élections crédibles est sur le point de redémarrer, un incident vient, comme par hasard, tout remettre en question.»

Une fois de plus, la question - la même depuis le début de la crise - s’impose : qui a peur des élections en Côte-d’Ivoire ? A Bouaké, on va brûler symboliquement quelques armes pour célébrer la fin du conflit. Mais, à Abidjan, la partie de poker menteur continue de plus belle.

Thomas Hofnung (Libération)

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