jeudi 6 septembre 2007

Le roi règne, le Maroc vote



Les islamistes modérés sont donnés vainqueurs du scrutin de demain. Un exercice de démocratie borné par l’autorité de Mohammed VI.

Une lame de fond islamiste va-t-elle emporter le Maroc ? C’est le principal enjeu des élections législatives de demain dans le pays certes le plus libéral mais aux équilibres les plus précaires du Maghreb. Depuis le dernier scrutin, en 2002, la question est clairement posée. A l’époque, le Parti pour la justice et le développement (PJD), principale formation islamiste légale du Royaume, avait remporté 42 sièges (sur 325) alors qu’il ne s’était, volontairement, pas présenté partout, devenant le troisième parti du pays derrière l’Istiqlal (nationaliste, 48 sièges) et les socialistes de l’USFP (50 sièges). Un an plus tard, le PJD avait une fois de plus limité ses candidatures aux municipales, remportant cinq grandes villes dont Meknès (lire pages suivantes). Mais aujourd’hui, poussé par sa base, le parti est présent dans la quasi-totalité des circonscriptions.

Sous contrôle. Son chef, Saâd Eddine el-Othmani, espère en faire la première formation du pays avec 70 sièges, voire plus. Des attentes de toute façon loin d’un raz-de-marée. Le pouvoir a tout fait pour contenir le PJD en procédant à un découpage électoral sur mesure, destiné à surreprésenter les campagnes, plus imperméables au discours islamiste. Le mode de scrutin de liste à la proportionnelle intégrale, ajouté à la multiplication des partis (36 en lice !) plus ou moins représentatifs, favorise aussi un émiettement des résultats et place le roi en position d’arbitre absolu. Malgré les appels répétés du monarque à la transparence, la «démocratie» marocaine reste donc sous contrôle très étroit.

Reste à savoir si Mohammed VI fera entrer au gouvernement les islamistes du PJD, qui sont nettement plus proches des Turcs de l’AKP que du FIS algérien. Les observateurs, les partis non islamistes, et même le Palais, semblent divisés sur la question. Il y a d’un côté ceux qui estiment que le PJD a suffisamment lissé son image pour rassurer les milieux d’affaires, notamment occidentaux. A leurs yeux, il serait dangereux, à terme, de laisser cette formation, très populaire dans la classe moyenne, continuer à fustiger la corruption du régime et ses injustices. A l’opposé, d’autres pensent qu’intégrer le PJD laisserait le champ libre aux islamistes d’Al-Adl wa al-Ihssane du vieux cheikh Yassine, opposant historique à la royauté, voire même aux jihadistes disciples d’Al-Qaeda.

Misère. Depuis les attentats-suicides du 16 mai 2003 à Casablanca (46 morts), le Maroc se sait dans la ligne de mire. Une menace confirmée par les attaques kamikazes du printemps dernier et les agressions individuelles contre des touristes cet été. La plupart de ces apprentis jihadistes ont été recrutés dans les zones de non-droit que sont les bidonvilles : plus d’un habitant de Casablanca sur dix, un demi-million de personnes, vit dans l’un des 450 bidonvilles (voir photo) de la capitale économique. Une course contre la montre s’est engagée pour réduire cette misère extrême mais elle est loin d’être gagnée avec 40 % de la population sous le seuil de pauvreté. L’INDH, (Initiative nationale pour le développement humain), le grand chantier de Mohammed VI lancé en fanfare en 2005, patine, faute de moyens.

Economiquement, socialement, culturellement, deux Maroc cohabitent, s’ignorent, voire s’opposent. Tandis que la scène culturelle connaît une effervescence sans précédent, d’autres réclament l’application d’une morale islamique plus stricte. Tandis que les uns s’enrichissent, les autres survivent à grand-peine. Tandis que les investisseurs européens voient dans le Maroc un marché alléchant, l’afflux de capitaux du Golfe bat tous les records. Tandis qu’une jeunesse regarde les clips de MTV, une autre passe son temps devant les chaînes religieuses du Golfe et celles d’actualité diffusant la guerre en Irak en boucle. Face à cette montée des périls, la tentation est grande, chez certains responsables, de revenir aux bonnes vieilles recettes autoritaires.

Cette crispation s’est fait sentir récemment dans l’un des domaines les plus emblématiques de la libéralisation depuis l’intronisation de Mohammed VI: la presse, en butte à une cascade de procès. Si le score du PJD suscite moult interrogations, un autre, moins spectaculaire, en dira plus sur l’humeur du pays : celui de l’abstention, qui avait frisé les 50 % en 2002. Il pourrait nettement augmenter, surtout en ville, traduisant le désenchantement de citoyens auxquels on demande de voter, sans que leur choix ait une réelle influence sur les politiques menées par un Premier ministre n’ayant d’autre pouvoir que celui concédé par le Palais.

L'organisation de défense des journalistes Reporters sans frontières (RSF) affirme que le roi Mohammed VI porte la responsabilité de la récente dégradation de la liberté de la presse au Maroc.

"Aujourd'hui, nous voulons tirer la sonnette d'alarme. Le Maroc est sur une pente dangereuse. Et vous en portez la responsabilité", affirme son sécrétaire général Robert Ménard, dans une lettre adressée au souverain, rendue publique mercredi 4 septembre.

Rappelant que le monarque avait affirmé en 2002 qu'il "ne pourrait y avoir d'essor et de développement pour l'avènement d'une presse de qualité sans l'exercice de la liberté d'expression", RSF estime que "vos promesses sont restées à l'état de promesses. Les chiffres et les faits attestent que votre engagement d'alors n'a pas été tenu".
Selon cette organisation, depuis son arrivée sur le trône en juillet 1999, "pas moins de 34 organes de presse ont été censurés et 20 journalistes ont été condamnés à des peines de prison, en vertu du code de la presse, du code pénal ou encore de la loi antiterroriste".

"Ces atteintes répétées à la liberté de la presse sont source de stupeur et de consternation: ces condamnations n'honorent ni votre régime ni une justice qui apparaît à la botte des autorités. Vous ne pouvez à la fois expliquer que le Maroc est tourné vers l'avenir et la modernité, et traiter ainsi une presse sans laquelle il serait vain de parler de démocratie", assure Robert Ménard.

Ahmed Benchemsi, directeur du magazine arabophone Nichane et de l'hebdomdaire francophone TelQuel, passe actuellement en procès pour "manquement au respect dû au roi".

Dans un éditorial de Nichane rédigé début août en arabe dialectal, M. Benchemsi avait critiqué sur le mode de l'interpellation des propos du roi Mohammed VI lors de son discours du trône prononcé le 30 juillet, concernant les élections législatives du 7 septembre. Les deux journaux avaient été saisis.

Par ailleurs, un journaliste marocain a été condamné le 15 août pour la première fois depuis quatre ans à une peine de prison ferme. Le tribunal correctionnel de Casablanca avait infligé huit mois de prison ferme à Mustapha Hormat Allah, reporter à l'hebdomadaire Al Watan Al An, pour publication de "documents confidentiels" concernant la lutte antiterroriste. Le directeur de ce journal, Abderrahim Ariri, a écopé de six mois avec sursis.

"À ce moment précis de l'histoire de la presse marocaine, tout peut basculer, vers le meilleur comme le pire. Son destin demeure entre vos mains. Vous avez le pouvoir, et, nous osons encore lespérer, le désir, de protéger cette profession, d'oeuvrer à son émancipation et de l'aider à briser les digues qui entravent son épanouissement", assure M. Ménard dans sa lettre.

Pour RSF, "les journalistes marocains ont largement contribué à l'écriture du chapitre nouveau de l'histoire du royaume que constituent vos années de pouvoir. Vous ne pouvez pas continuer à accepter qu'on les traite avec autant de mépris. Vous devez donc agir", conclut le secrétaire général.

“Votre Majesté, le commentaire est libre” http://www.rsf.org/article.php3?

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