Dépourvu de couvre chef mais protégé de lunettes de play boy, Ramzi grimpe avec la vivacité d’un bouc de troupeau de chèvres bédouines les huit cent marches qui conduisent au Monastère. Derrière notre guide bien aimé je masque ma peine d’un sourire malentendu en compagnie d’un authentique alpiniste qui trouve sincèrement l’effort déjà significatif : le reste du troupeau, pardon du groupe de touristes, s’égrène tout au long des saintes marches. Certains ont renoncé à l’ascension, d’autres ont même abandonné en cours d’effort ; dommage car le second Trésor du site de Pétra vaut toutes les marches du monde. La pérégrination sur les onze kilomètres, en passant par
la gorge du Siq (voir photo) de cette double merveille s’avère une nécessité pour tous les humains, à peine sportifs ou spirituels, mais soucieux de ne pas quitter notre si sympathique vallée trop souvent larmoyante sans avoir vu
la Ville Rose du désert.
La réputation de Petra m’était connue, et ma réservation acquittée, quand la publicité pourtant décriée car issue d’un classement assez confus des « Merveilles du Monde » trois jours avant mon départ, m’est apparue comme un signe favorable : superstition de touriste naïf et désœuvré ? Double merveille dis-je si l’on considère la magnifique façade de Khazneh (voir photo) comme le premier Trésor officiel et aperçu ; ou alors, et surtout, si l’on comprend que toute cette magnificence vient du double mouvement de la main de l’homme posée à flanc de montagne et du travail de la nature génératrice de véritables formes artistiques. Je n’oublierai jamais l’imprenable vue de mon regard incrédule, cherchant depuis la chambre d’hôtel à fixer pour l’éternité deux collines ouvrant sur le désert. Fixation vaine mais familière pour moi, qui ne photographie plus, depuis si longtemps.
Néanmoins Petra (1) n’est pas toute la Jordanie, pas plus que Amman d’ailleurs qui concentre un tiers des habitants dans une gigantesque foire à la construction immobilière.
Jerash et Umm Queis (l’ex Gadara) offrent les séductions des ruines antiques, gréco-romaines obligent, avec colonnes et places, hippodrome (petit, assurent les spécialistes mais bien mieux conservé que celui d’Istanbul : j’ai joué à Ben Hur, sans aucun char, sous les yeux amusés de Ramzi et de quelques autres), arc romain donc (Hadrien, je crois) et deux beaux cirques très évocateurs pour l’amateur de théâtre que je suis.
Kerak et le Wadi Mujib s’imposent comme des morceaux de choix sur la Route des Rois. Le premier offre l’imaginaire des célèbres châteaux du temps des croisades : je fus plus impressionné encore par l’intérieur, sombre et inquiétant à souhait. Et quand le car s’est arrêté en haut des contreforts de la vallée du Wadi Mujib je suis resté muettement persuadé de contempler ce que la nature, si ce n’est quelque Dieu, avait créé de plus beau. Non comptés les êtres vivants...naturellement ! Il me paraît inutile d’en dire plus.
Le Dieu de mes père et mère a trouvé son content d’histoire biblique et de légende sulpicienne avec le Mont Nébo (du haut duquel j’ai pu téléphoner avec le portable de Ramzi ; j’avais échoué depuis la chambre d’hôtel…), la statue de sel de la femme de Loth (ignorants de catéchisme s’abstenir, ou se renseigner !), le ruisseau du Jourdain (en l’absence de Jésus et Jean-Baptiste j’ai honteusement raflé une demi bouteille d’eau pour porter à mes parents) dans lequel on peut chercher à voir un symbole du dramatique et crucial problème de l’eau, et la Mer morte (où j’ai certes flotté comme une baudruche, mais que j’ai quittée précipitamment à la première goutte de sel…dans l’œil !). (voir photo)
Pas d’Arabie sans désert, pas de Jordanie (qui n’est autre que l’Arabie du nord ouest) sans le Wadi Rum où, faute de Lawrence ( dois-je vraiment ajouter…d’Arabie ?) et de patrouille du désert, nous nous sommes rabattus sur de très approximatifs quatre-quatre pour une petite randonnée de près de trois heures à travers dunes et sables (on y trouve d’admirables arches naturelles), avant de déguster le plat du jour sous tente bédouine.
Un dernier mot sur le golfe d’Aqaba où nous avons pu croiser à bord d’un superbe bateau, revendu par tel prince arabe à des sociétés de tourisme, et rassembler enfin, mais du seul regard, trois pays splendides chargés d’histoire et de conflits : Egypte, Israël et Jordanie. Trois qui donnent quatre si la Palestine vient enfin à se fonder de jure. Gageons que les relations récentes plus détendues entre ces trois là préfigurent une réunion au sommet à trois ou quatre, peut-être moins prient certains : Yahvé, Allah et Jésus, sans oublier notre humble maîtresse à tous, Dame Raison. Et rêvons une fois pour toutes que les blanches colombes soient désormais les seuls émissaires de Petra la Rose et autres lieux.
Bernard Auroux
(1) Pétra (de πέτρα petra, « rocher » en grec ancien ; البتراء Al-Butrāʾ en arabe, de son nom sémitique Reqem ou Raqmu (« la Bariolée »)