dimanche 5 août 2007

Ô cruel destin !


Le pèlerin a un visage. Le clandestin n’en a pas. On voit le pèlerin à la télé. Son drame occupe tout un jité de TF1. Mais on n’y voit pas le clandestin : son drame fait tout juste une brève dans « Libération » (20/7). Le pèlerin a de la famille qui pleure, un autocar qui était en infraction, des amis sous le choc. Il fait les gros titres partout : 26 morts d’un coup, c’est bien sûr une tragédie épouvantable. Son pays décrète un deuil national de trois jours, et on serait presque prêt à en faire autant.
Le clandestin a sans doute une famille qui pleure et des amis effondrés, mais on n’en saura rien. Son embarcation qui a fait naufrage au large des Canaries était évidemment en infraction. Cinquante disparus d’un coup, c’est bien sûr une tragédie épouvantable…
Mais c’est une tragédie banale. Ça arrive une fois par mois, peut-être plus, peut-être moins, on n’en sait rien. L’accident de car est rare et spectaculaire, le ravin attire les badauds, les caméras ont de quoi se mettre sous la dent. Le naufrage est nul question images, comment voulez-vous émouvoir les foules avec ça ? Le pèlerin est venu prier son dieu chez nous, il chantait pieusement des cantiques quand l’horrible accident est survenu, ce contraste qui confine à l’absurde métaphysique a de quoi frapper l’imagination. Le clandestin est venu se chercher un avenir chez nous, il voulait échapper à la misère et obtenir une vie meilleure, et c’est la mort qu’il a trouvée : ce contraste a lui aussi de quoi frapper l’imagination, mais il faut faire un petit effort.
Parce qu’au fond le pèlerin vient en ami, en touriste, tandis que le clandestin vient pour nous piquer notre boulot (et on n’en a pas assez).
Le pèlerin arrache des larmes de compassion. Le clandestin fait soupirer d’un air accablé. Et il n’est pas bon pour l’Audimat.

J.-L. P.

Lu dans « Le Canard enchaîné » du mercredi 25 juillet 2007, p. 8.


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