vendredi 15 juin 2007

Gare de l'Est



Dimanche 10 juin 2007, gare de l'Est. Le grand jour pour le TGV-Est. De Paris, les premiers trains sont partis à l’aube. D’autres arrivent de province. A 10 heures, de simples badauds sont venus, fleur à la main, accueillir les premiers voyageurs venant de Sedan. Une fanfare retentit. L’atmosphère est bon enfant autour de cet événement pour le moins « magique ».

Gare de l’Est : une gerbe de souvenirs. Ma première gare parisienne en somme – que j’ai découverte dès mon plus jeune âge en venant de Verdun. Elle s’appelle d’ailleurs Gare de l’Est-Verdun. Les soldats de France (et de ses colonies) en sont partis en 1914 pour monter au front. Mon grand-père paternel fut de ceux-là. Il est venu de ses Pyrénées natales pour aller passer quatre ans de sa pleine jeunesse dans les tranchées près de la ville « martyre » devenue « la victorieuse ».

Gare de l’Est : pendant deux ans, tous les vendredis et lundis, je t’ai fréquentée en venant de Nancy et en y repartant. J’avais 20 ans et j’étais fou d’amour.

Gare de l’Est : quand je me suis installé à Paris – car il me semblait impossible de vivre ailleurs –, j’y ai retrouvé régulièrement ma grand-mère et ma mère (« semi-nomades » comme moi), quand elles venaient de Verdun pour un séjour dans la capitale.
Gare de l’Est : j’y ai rencontré pendant l’hiver 2000 dans la salle des pas perdus et ensemble les deux prix Nobel de physique Pierre-Gilles de Gennes (1991) et Georges Charpak (1992), qui partaient à Strasbourg dans le même train et le même compartiment que le mien.
Pierre-Gilles de Gennes vient de mourir. Les médias se sont montrés bien discrets sur son décès… – quelques images sur les chaînes de télévision, quelques échos dans les radios, un simple article dans Libération, une brève dans le journal 20 minutes… Il faut dire que le prix Nobel de physique 1991 avait 74 ans et que ses travaux n’avaient fait que « bouleverser la vie quotidienne ». Bouleverser ou révolutionner ? Quand on sait que les implications de ses travaux ont notamment conduit à la fabrication des écrans plats de téléviseurs ou d'ordinateurs, des calculettes, des montres… On est malgré tout rassuré : Pierre-Gilles n’a pas eu la mauvaise idée de chanter à la Star Ac’… pour avoir les couvertures des journaux people.


Gare de l’Est : pendant la guerre de 1939-1945, combien de déportés sort partis pour Compiègne ou ailleurs ? Aragon chante la gare dans le poème dédié à Robert Desnos : « Ô la gare de l’Est et les premiers croissants, le café noir qu’on prend près du percolateur, les journaux frais, les boulevards pleins de senteur, les bouches du métro qui captent les passants ». De nombreux déportés ont risqué le tout pour le tout, et souvent avec la complicité de cheminots, pour s’évader et donc échapper aux camps. Souvent ils ont été accueillis par les habitants du quartier et ont vécu dans les caves du faubourg Saint-Martin et d’ailleurs.

Ce dimanche, la nostalgie se mêle aux événements politiques actuels. Non, ce quartier ni cette gare n’ont pas trahi. La fidélité à des idées n’est pas un vain mot dans ce quartier. La « vague bleue » ne les a pas atteints. La Résistance est toujours là. Et ce n’est pas la candidate de droite, au regard vide sur ses affiches, qui parviendra à séduire les habitants le 17 juin.

Ces réflexions un peu débridées et ces rêveries mollassonnes me renvoient à ce merveilleux livre Le Piéton de Paris, de Léon-Paul Fargue, quand il parle de son quartier.
« Je tiens à ce que j’appelle mon quartier, c’est-à-dire ce dixième arrondissement, pour le plus poétique, le plus familial et le plus mystérieux de Paris. Avec ses deux gares, vastes music-halls où l’on est à la fois acteur et spectateur, avec son canal glacé comme une feuille de tremble et si tendre aux infiniment de l’âme, il a nourri de force et de tristesse mon cœur et mes pas ».
Ce livre, je viens de le lire sur les conseils de Dominique, le libraire de la rue Château-Landon. Un autre poète.



Post-scriptum

Le Canard enchaîné, mercredi 13 juin 2007

Gaffe à grande vitesse


« C’est pas possible, il n’a quand même pas fait ça !» Sarko a eu du mal à y croire quand on lui a raconté un récent exploit de son Premier ministre. Pour l’inauguration officielle du TGV-Est, qui met Strasbourg à deux heures vingt de Paris, François Fillon est venu… en Falcon ministériel !
Lorsque la rame bondée de VIP a quitté la gare de l’Est, le 9 juin à 7 h 36 exactement, le service de presse de Matignon a expliqué aux journalistes que le Premier ministre, accablé de dossiers urgents, s’était retiré dans la voiture 11 et « ne se joindrait à eux qu’à l’arrivée ». Bizarrement, le train qui devait filer vers l’Alsace, pour une éblouissante démonstration de ponctualité, a accusé un retard de vingt-six minutes, après un arrêt imprévu en gare de Nancy-Metz. Pourquoi cette fantaisie ? Tout simplement pour faire monter dans le TGV François Fillon, qui n’était pas du tout dans la voiture 11, mais avait préféré faire le gros du voyage dans un avion. Alain Juppé, le ministre d’Etat et écolo en chef, a fait de même.
A l’arrivée à Strasbourg, Fillon a célébré comme il se doit le TGV, merveille de technologie, mais aussi a égratigné la SNCF pour la médiocrité de ses performances dans le fret et l’inconfort des trajets domicile-travail. Du coup, la présidente de la SNCF, Anne-Marie Idrac, vexée, a vendu la mèche et a évoqué devant les journalistes le voyage « multimodal » du Premier ministre.
Réaction de Fillon quand il appris la contre-pique d’Idrac : « Cette conne-là, elle ne va pas l’emporter au paradis ! »
Au paradis, on y va plus vite en avion, ou en TGV ?

Aucun commentaire: