mardi 12 juin 2007

Mouloudji, de Belleville à Saint-Germain-des-Prés



Acteur, écrivain, peintre, chanteur, Marcel Mouloudji avait tous les talents. A chacun d'eux il a fait dire le goût de la liberté, l'amour de l'amour, le refus des parades bourgeoises.
Éternel adolescent, il a traversé la vie sur la pointe des pieds entre légèreté et gravité et a chanté Paris, l'enfance, l'amour et l'amitié, la tendresse, le hasard, les poings dressés contre l'inacceptable.





Enfant de Belleville, Mouloudji est le fils d'un algérien kabyle, musulman, maçon, communiste et d'une bretonne, femme de ménage, fervente catholique, qui sombrera très vite dans l'alcoolisme et la folie. La famille est pauvre et chaleureuse. Marcel en parle dans plusieurs de ses poèmes. Il est "l'enfant fugueur" et "l'enfant voleur" qui depuis le "Passage Puebla" ou
la "rue de Crimée" vole des livres pour mieux les dévorer

"La marchande de tabac était intellectuelle
Elle m'avait remarqué parmi tous ces voyous
Qui fumaient et crachaient avec des rires de loups
Elle estimait mon front sérieux, ma chevelure rebelle
Je lisais du Verlaine avec ostentation
Lui causais de Ducasse, Rimbaud et Baudelaire"


Gamin du Paris des quartiers populaires, il chante avec son frère cadet André dans les rues, à La Grange aux belles et dans les kermesses du Parti communiste. C'est ainsi qu'il se fait remarquer par Sylvain Atkine du groupe théâtral Octobre, organisation affiliée à la fédération des théâtres ouvriers de France. « Moulou », comme l’appelaient ses amis, rencontre alors Jacques Prévert, Jean-Louis Barrault et Marcel Duhamel qui le prend sous son aile protectrice. Il devient alors mime et comédien.



Marcel et André en 1936


Ainsi en 1936, à l'âge de 14 ans il joue avec le Groupe Octobre dans Le Tableau des merveilles adapté de Cervantès par Prévert et un rôle chantant dans Jenny, le premier film de Marcel Carné.
Les films s'enchaînent : Ménilmontant, La guerre des gosses, Claudine à l'école, Les Disparus de Saint Agil...Ses rôles? Ceux de "gavroches" de l'entre-deux-guerres.

Replié à Marseille en 1940 avec le groupe Octobre, Mouloudji revient ensuite à Paris, chante quelques jours au Boeuf sur le toit et s'intègre aux bandes du Saint-Germain-des-Près pendant cette période de l'occupation allemande.
C'est en trimbalant avec désinvolture sa dégaine et sa tignasse légendaire au café de Flore qu'il rencontre Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Ces derniers l'encouragent à écrire. Simone de Beauvoir écrit dans La force de l'age qu'il était trés doué, qu'elle se contentait de corriger ses fautes d'othographe et de syntaxe. Il vivait alors dans une demi-misère, entre deux rôles dans des films, donnant son argent à son père, son frêre ou à des copains.
Il aime Rimbaud, Apollinaire, Baudelaire mais est également émerveillé par Les Trois Mousquetaires, qu'il dit pour contrer les snobs du quartier, malicieusement préférer à La Nausée...
Son premier roman Enrico, inspiré de son enfance, recevra Le prix de la Pléiade en 1945, soutenu par Albert Camus, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Ces derniers ayant fait paraître au préalable plusieurs de ses textes dans la revue Les Temps modernes.

Mouloudji vit à cette époque un grand amour, dans des hôtels pour artistes et intellectuels désargentés de Saint-Germain-des-Prés (tel Le Louisiane rue de Seine, où a vécu Simone de Beauvoir à la même époque) avec la jeune actrice Louise Fouquet, la belle "Lola" qui a notamment joué dans le célèbre Entrée des artistes, de Marc Allégret.
Moulou, réfractaire au STO, et Lola, entrée en Résistance, vivent dans une semi-clandestinité. Lola est arrêtée début 1944 par la Gestapo et emprisonnée à Fresnes. Elle en sortira à la Libération et deviendra par la suite un grand agent artistique.


Au cours des années 1950, Mouloudji ne sait pas vraiment à quel art se vouer. Dans un article de Paris Match de 1951 on peut lire " Il est mieux et fait mieux que la plupart. Funambule des arts, il ne peut se décider entre eux et s'amuse à la corde raide avec chacun. Bon romancier, excellent comédien, chanteur de talent, parolier de valeur, il est Mouloudji-le-Touche-à-tout"

Mouloudji connut la gloire en1952 avec le film Nous sommes tous des assassins d'André Cayatte, qui remporta le prix du jury au festival de Cannes, mais aussi avec le succès phénoménal que fut Comme un p'tit coquelicot. Un Grand Prix du disque en 1953 et le prix Charles Cros qui témoignent aussi bien des faveurs des intellectuels "rive-gauche" que des ouvriers de banlieue.
"En devenant chanteur je perdis le goût du bonheur. Ce fut sur la scène du Gypsy que, pour la première fois, en costume de ténèbres, silhouette découpée par le fond rouge du rideau, La nuque d'une femme imaginaire. Ce geste je le répéterai des milliers de fois. A plus de quarante ans de distance, j'en ai recomposé le mouvement. Par lui je retrouve le point de repère du temps passé, comme si, au départ de cette traversée vers la renommée j'avais lancé un signe, un adieu, afin qu'il me parvienne en fin de carrière. Quand je me retourne sur ma vie d'artiste de music-hall, j'ai l'impression de survoler un trou noir. Pourtant j'ai été parfois heureux, m'ébouriffant tel un moineau. Mais toujours insatisfait".

Il enchaîne avec un autre succès en 1954, Un jour tu verras, puis interprète le jour de la chute de Diên Biên Phu Le Déserteur, de Boris Vian. La chanson est censurée.
Nous sommes alors en pleine guerre d'Algérie. Ce scandale fera de Mouloudji un paria des médias pendant des décennies.


Mais Mouloudji, antimilitariste convaincu, trouve bien d'autres façons de s'exprimer en chantant notamment Prévert et Kosma comme "Barbara "" et son "Quelle connerie la guerre".
Ces années-là sont aussi celles où il exerce au mieux son fameux éclectisme. Il continue à tourner des films (avant d'y mettre en terme en 1961 avec La Planque), enregistre des disques, peint, chante beaucoup et partout, notamment en tête d'affiche à Paris à L'Alhambra.


En 1959, il triomphe au théâtre de l'Atelier avec La tête des autres de Marcel Aymé. Pièce plaidoyer contre la peine de mort. Mouloudji joue Valorin, le condamné. La pièce sera reprise avec toujours autant de succès en tournée en province et à l'étranger en 1968. Il écrira plus tard La chanson de Marcel où il dit vouloir "vivre un peu sa mort" près de Marcel Aymé "qui fait le grand dodo près de l'avenue Junot" . Ses voeux seront exaucés. Son dernier voyage a bien été pour le cimetière Montmartre.
A cette époque de sa vie, Il se fait également plaisir en chantant ses amis dont Françoise Sagan "qui sait écrire des chansons d'amour, et c'est difficile" et Charles Trénet. Sans oublier quelques uns de ses poèmes mis en musique par Léo Ferré, dont Les poux aux résonances rimbaldiennes.



Dans les années 1960, les yéyés envahissent les ondes, et Mouloudji n'est plus à la mode. Il se définit, non sans amertume, comme un " Beatle de 40", un "James Bond de 14-18" ou encore comme un "coquelicot fané", une "fleur bleue hors-concours" un "troubadour sur le retour"...

Tenant le système à distance, il crée une maison de disque même il se sait d'avance "raté pour les affaires". Il produit ainsi ses propres albums tout en découvrant de jeunes artistes comme Graeme Allwright.

A la faveur des événements de mai 68, la chanson à texte retrouve un auditoire notamment auprès de la nouvelle génération. On entend beaucoup Brassens, Brel, Ferré, Gréco, Mouloudji...
Fidèle à ses convictions politiques, enthousiasmé par les mouvements protestataires, Mouloudji entreprend en 1969 des spectacles de "chansons engagées" au Théâtre du vieux Colombier autour de Bruant, Prévert, etc. mais aussi La Commune en chantant (voir photo avec Francesca Solleville) qui connaissent un réel succès.

"On s'amuse"
disait-il volontiers aux spectateurs venus lui dire leur admiration à la fin du spectacle.
On ne voit pas comment Moulou aurait-il pu ne pas s'amuser, lui qui rechignait à perdre son temps à "répéter inutilement" ou à passer des journées en studio...Il est vrai qu'il était si doué qu'il n'avait guère besoin de travailler avec excès...
Il préférait flâner "le long des rues de Paris", "son" Paris qu'il ne quittait jamais très longtemps, par crainte d'en avoir le "mal" et de sombrer dans une grande mélancolie.
Ce qu'il chante si bien dans Comme une chanson de Bruant.

"Paris de mes mélancolies
Paris de Saint-Germain-des-Prés
Paris de la guerre de la paix
Paris d'un certain mois de mai
Paris du soir et des vitrines
Paris où je traîne éperdu
Paris que j'ai perdu de vue
Paris qui me serre à la gorge
Comme une chanson de Bruant"

Dans les années 1970, Mouloudji chante beaucoup. Il retrouve une grande ferveur du public aussi bien à Paris (Bobino,Olympia,Théâtre de la Renaissance...) qu'en province mais aussi dans les fêtes du Parti Communiste ou de la rose. On aime Mouloudji pour sa tendresse et son esprit frondeur et bien sûr pour l'exceptionnelle émotion qu'il dégage.

Il fait même les beaux soirs du cabaret "chic" des Champs Elysées La villa d'Este, où devant des dames embijoutées et des messieurs fumant de gros cigares, il lui arrive de balancer de longs textes de Lautréamont, d'Apollinaire, ou de Jean Genet. Le public est médusé.
Parfois il n'a pas envie de chanter devant ce public. Il ne vient donc pas. Un ancien maître d'hôtel de la Villa d'Este évoque avec nostalgie le côté "nonchalant" de Mouloudji. Et d'ajouter "Il était si gentil qu'on lui pardonnait tout". Il suffit de l'entendre réciter Le lézard de Bruant pour comprendre son dilettantisme et sa bohème.

"On prend des manières à quinze ans
Pis on grandit sans qu'on les perde
Ainsi, moi, j'aime bien roupiller
J'peux pas travailler
Ca m'emmerde"

Pourtant Mouloudji continue inlassablement son métier. "Vieux chanteur à la voix blessée,j'ai, à force de travail, un peu atténué le tremblement paludéen de mon legato. La peur, ma fidèle compagne de scène, est devenue supportable. Parfois, après les galas en province, je pousse devant la fenêtre de la chambre d'hôtel une table ou une chaise, de crainte qu'au cours d'un rêve je n'ouvre les battants pour aller enfoncer le ciel d'un coup de tête. Les nuits ou je me sens particulièrement fragile, je garde même une veilleuse allumée qui me donne l'impression de n'être pas seul. J'arrive au bout du puzzle qu'est la vie, puzzle dont les morceaux partent en dérive. Est-ce moi, ce gosse de la rue qui la commençait? Est-ce le même ce vieillard qui la termine? Un grand imprésario m'enverra peut-être en tournée jusqu'à la fin des temps, d'étoile en étoile ".

Vers la fin de sa vie Mouloudji revient à ses premières amours : la peinture et à l'écriture. En 1992, une pleurésie lui enlève une partie de sa voix. Il s'éteint le 14 juin 1994 alors qu'il avait de nombreux projets en route : la suite des mémoires 50 ans après Enrico et un nouvel album.
Libération titre "Le petit coquelicot est parti".

Des chanteurs, comme Jacques Dutronc et Renaud ont repris depuis plusieurs titres de son remarquable répertoire : Comme un p'tit Coquelicot, Six feuilles mortes de San Francisco, Faut vivre...

"Malgré tous nos serments d'amour
Tous nos mensonges jour après jour
Et bien que l'on ait qu'une vie,
Une seule pour l'éternité
Et qu'on la sache ratée
Faut vivre"


Et la grande Juliette Gréco, autre enfant terrible de Saint-Germain-des-Prés, sa "frangine d'utopie" vient de rependre dans son dernier disque (décembre 2006)
Un jour tu verras.
Sobre et bel hommage que ces quelques lignes de la muse de Saint-Germain-des-Prés" A toi Mouloudji voix pure de notre éternelle jeunesse et qui jamais ne s’éteindra. Merci »

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Superb post but I was wanting to know if you could write a litte more on this subject?
I'd be very thankful if you could elaborate a little bit further. Bless you!

Also visit my weblog ... laptops under 300