mercredi 31 décembre 2008

La plus drôle des créatures


    • Comme le scorpion, mon frère,
    • Tu es comme le scorpion
    • Dans une nuit d’épouvante.
    • Comme le moineau, mon frère,
    • Tu es comme le moineau
    • Dans ses menues inquiétudes.
    • Comme la moule, mon frère,
    • Tu es comme la moule
    • Enfermée et tranquille.
    • Tu es terrible, mon frère,
    • Comme la bouche d’un volcan éteint.
    • Et tu n’es pas un, hélas,
    • Tu n’es pas cinq,
    • Tu es des millions.
    • Tu es comme le mouton, mon frère,
    • Quand le bourreau habillé de ta peau
    • Quand le bourreau lève son bâton
    • Tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
    • Et tu vas à l’abattoir en courant, presque fier.
    • Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
    • Plus drôle que le poisson
    • Qui vit dans la mer sans savoir la mer.
    • Et s’il y a tant de misère sur terre
    • C’est grâce à toi, mon frère,
    • Si nous sommes affamés, épuisés,
    • Si nous somme écorchés jusqu’au sang,
    • Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
    • Irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute, non
    • Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.
    • Nazim HIKMET, 1948.

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