lundi 25 février 2008

Le charme ébréché du sarkozysme


Pour les futurs historiens du sarkozysme, ce sera l'énigme à résoudre. Il y aura de quoi en faire des thèses pour les étudiants en sciences politiques ! Comment l'un des présidents les mieux élus de la Ve République a vu sa popularité fondre en quelques semaines, comme un joueur flambe sa fortune, en un soir, au casino de Deauville ? Autour de 60 % de bonnes opinions au sortir de l'été 2007, moins de 40 % à l'approche du printemps 2008, selon un sondage BVA pour L'Express.

Le Président lui-même ne sait à quelle explication se fier : "Il n'y pas de crise politique, pas de crise sociale, pas de juges aux portes de l'Elysée, disait-il, le 13 décembre à ses proches. Pourtant, on n'a jamais vu un lynchage de cette puissance." Sarkozy, victime sans mobile ? Pour les sondeurs, les premiers décrochages se sont produits en novembre, lors de la visite du président libyen à Paris. Trop longue aux yeux de l'opinion pour qui la libération, en juillet 2007, des infirmières bulgares et du médecin palestinien retenus depuis six ans à Tripoli, ne valait pas tant d'honneurs à Kadhafi. Pour les Français, auxquels Nicolas Sarkozy avait promis, pendant sa campagne, de mener "une diplomatie des droits de l'homme", cette concession passe alors pour un reniement.

Vient ensuite l'apparition de Carla Bruni, la nouvelle future épouse du chef de l'Etat. Révélée début décembre, cette séquence, amorcée quelques semaines après le divorce du chef de l'Etat d'avec Cécilia, apparaît comme une manière, pour l'Elysée, de détourner l'attention de l'opinion de la question du pouvoir d'achat. "Trop de Carla, pas assez de pouvoir d'achat", se plaignent, en privé, les élus lorsqu'ils reviennent de leurs tournées sur les marchés. "Au fond d'eux-mêmes, les Français ne se sont pas reconnus dans la façon dont il a renoué avec l'amour, explique un député. Eux, quand ils souffrent, ça dure plus longtemps." Mais le Président n'entend pas ces reproches. Provocateur, il appuie là où cela fait mal. Il emmène sa nouvelle conquête en Egypte, puis en Jordanie pour un week-end à Pétra. Enfin, il l'épouse, début février. Autour de lui, les conseils abondent : "Sois plus discret", "Intéresse-toi davantage aux Français." Mais le Président n'écoute pas : "Il a déserté psychologiquement l'Elysée", tempête un conseiller en souvenir de cette période. Pour les sondeurs, la cause est entendue : l'exposition de sa vie privée a provoqué chez les Français un sentiment d'abandon.

Il y a plus ennuyeux. Habitué depuis cinq ans à faire de la politique avec des vents porteurs, il peine face aux vents contraires des sondages. Ses initiatives, ses changements de pied, lui avaient permis, pendant la campagne, de dérouter ses adversaires et d'imposer son tempo. La même tactique, neuf mois plus tard, déboussole. A l'approche de municipales à risques pour l'UMP, l'expert es stratégie semble avoir perdu la main.

Les propositions de la commission Attali, notamment celles qui concernent la libéralisation des professions protégées, provoquent la grogne des artisans taxis, considérés par l'UMP comme des électeurs fidèles. Elles prennent les parlementaires à rebrousse-poil : ils s'interrogent sur leur rôle dans la République sarkozienne. Déjà, ils n'avaient pas aimé l'ouverture… Maintenant, ils ne supportent plus l'intervention des conseillers du Président. "L'Assemblée est une Cocotte-Minute, analyse un député. Pour l'instant, Sarko est assis sur le couvercle, mais si les municipales sont échec, ça pétera." Kadhafi, Bruni, Attali… Il faut encore ajouter Neuilly et son psychodrame. Après avoir imposé, dans son ancien fief, son porte-parole, David Martinon, le Président, instruit des sondages médiocres, le contraint au retrait. La gauche croit tenir une martingale électorale à défaut de propositions et de leader. L'anti-sarkozysme se régénère dans un appel à la vigilance républicaine publié par l'hebdomadaire Marianne et signé par des éliminés de la course présidentielle de 2007.

Le chef de l'Etat veut croire qu'il en a vu d'autres. Sa carrière n'est-elle pas une suite de descentes aux enfers vertigineuses, suivies de remontées spectaculaires ? Il vient donc de sonner la charge et a ordonné à ses ministres de le défendre face aux attaques sur sa vie privée, dont il se dit l'objet, et sur ses propositions comme celle de "confier la mémoire" d'un enfant français juif, victime de la Shoah, à un élève de CM2. Miracle : aiguillonné par la menace feutrée d'un remaniement d'après-municiaples, tout le gouvernement s'est porté au secours du chef de l'Etat. La reconquête serait-elle en marche ?

Philippe Ridet


http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2008/02/12/630-pourquoi-carla-pese-lecon-sur-le-style

Pourquoi Carla pèse. Leçon sur le style (1)

Si l'on cherche à démêler les raisons du brutal retournement qui affecte l'aura présidentielle depuis le début de l'année, à travers les nombreux articles qu'y consacrent les médias, on finit par comprendre que, derrière la plongée des sondages, les journalistes ont un aliment solide. Celui-ci est apporté par les "remontées de terrain" que leur livrent leurs contacts politiques de retour de leur fief. Rendus plus sensibles aux signaux de l'opinion publique par la proximité des échéances municipales, les notables de droite reviennent avec un message catastrophé émanant de leur propre électorat. Au premier rang des mécontentements, l'abandon de l'objectif d'augmentation du pouvoir d'achat. Appuyé sur la réalité du porte-monnaie, confirmé par la terrible phrase des “caisses déjà vides”, ce constat paraît relever d'une analyse raisonnable. Plus surprenant est la récurrence, dans la série des récriminations, de la liaison du président avec Carla Bruni. Au-delà du conservatisme des papys et mamies, choqués d'un remariage si expéditif, comment expliquer objectivement le poids de cet argument répété dans les témoignages de terrain?

Contrairement à Salmon, je n'arrive pas à percevoir de story – de construction de l'événement par le récit – dans l'aventure Bruni. Sa réception me paraît impossible à comprendre, sauf par l'intermédiaire de la question du style, où elle intervient comme un ingrédient majeur. Une story est un scénario: composée d'un petit groupe d'éléments dont l'articulation est mémorisable, logique et reproductible, elle fournit un schéma causal dont le caractère élémentaire est un facteur essentiel de son pouvoir explicatif, indépendamment des variations de son expression. La perception d'un style s'élabore à partir d'un ensemble plus diffus d'images et d'impressions passagères, dont l'accumulation dans le temps installe progressivement la validité, sans véritable fil conducteur. Nul ne s'appuierait explicitement sur cette construction fragile pour légitimer un choix public, encore moins le rejet d'une politique.

Et pourtant, il ressort bien des réactions de l'électorat que cet agent pèse de façon déterminante. Durant la campagne présidentielle, les stories concoctées par Guaino, les éléments du programme et la gouaille du candidat avaient fabriqué un style gaullo-chevènementiste tout d'énergie et de coups de menton. Dès le lendemain de l'élection, les Français étaient trahis par un président qui avait promis de se retirer dans un monastère pour “habiter la fonction”, mais préférait cultiver son bronzage sur un yacht de milliardaire. Ceux qui avaient élu Astérix se retrouvaient avec Aldo Maccione. Or, le personnage de jet-setteur coureur de jupons qui a défrayé la chronique des six derniers mois avait été soigneusement caché pendant le premier semestre de l'année 2007. L'électorat lui aurait peut-être pardonné ce mensonge si les résultats avaient été au rendez-vous. Mais avec la chiraquisation de Sarkozy, c'est désormais la forme qui repasse au premier plan.

Non sans raisons. Le style, c'est l'homme, disait déjà Buffon. Barthes, soupçonnait qu'il n'était pas si facile de soustraire la manière de la matière. Mais c'est probablement Umberto Eco qui aura le mieux perçu, à propos du Comte de Monte-Cristo, la nature organique du lien entre fond et forme, la “valeur structurale” de l'intervention stylistique (De Superman au surhomme, Grasset, 1993). Tel est bien le cas avec Sarkozy, premier président de la République à incarner l'essor d'un style, le fameux "bling-bling" – expression jusque là réservée au monde du hip-hop, appelée grâce à lui à caractériser une dérive sociétale, sorte d'adaptation à l'univers des nouveaux riches du "tout est permis" de Netchaïev.

Le mariage avec Carla Bruni constitue l'apothéose de l'appropriation structurale du style chez Sarkozy. Plutôt que la manipulation de joujoux superficiels, montre Breitling ou lunettes Ray-Ban, épouser cette figure warholienne, ce rêve de camionneur, faire sienne cette incarnation de la jet-set traduit la volonté naïve et désespérée d'assimiler à sa propre vie, à sa propre chair, ce monde si désiré. Dans son gros bon sens provincial, la droite française ne s'y est pas trompée. Cet écart-là aura été l'écart de trop.

Cherche-t-on un autre symptôme des effets néfastes de cette emprise du style? Tapez "Sarkozy" sur Dailymotion: fidèle à son rôle de révélateur des tendances, la plate-forme rapporte dans ses filets l'enregistrement du sketch d'Anne Roumanoff chez Michel Drucker, le 20 janvier dernier, déjà visionné plus de trois millions de fois sur une vingtaine de copies. L'actrice joue le texte de Bernard Mabille, dont les jeux de mots poussifs et les vannes grossières (“lui, pour sortir son poireau, il a besoin d'une asperge”) ne sont pas plus drôles que d'habitude. Sauf que. Sauf que la rencontre de la vulgarité du chansonnier et de celle du style Sarkozy produit comme une déflagration. Un trou d'air, visible à la mine des invités, qui oscille entre stupéfaction et libération cathartique. Ce n'était pas l'humour distingué des Guignols qu'il fallait pour lester la caricature de son poids de vérité. Pour attraper le personnage, il fallait parler sa langue, celle du "descends un peu si t'es un homme" – le langage du bistrot et sa verdeur couillue.

Ce que suggère ce sketch est proprement dévastateur. Il nous dit qu'il reste quatre longues années à attendre, mais que Sarkozy a perdu. L'essentiel – ce qui fait que 53% de voix se sont portées sur lui en mai dernier: sa crédibilité. Retransmis par les sondages, ce jugement-là, au-delà de ses composantes politiques, n'est pas la conséquence d'une mauvaise histoire, mais le résultat d'un choix de style. Une leçon à méditer.

http://www.arhv.lhivic.org/index.php/2008/02/24/647-le-gouvernement-du-lapsus-lecon-sur-le-style-2

Le gouvernement du lapsus. Leçon sur le style (2)

Par André Gunthert, dimanche 24 février 2008


Lionel Jospin est considéré comme le producteur le plus régulier de lapsus de la vie politique française. Mais, dans la longue agonie qui commence, Nicolas Sarkozy pourrait bien lui ravir la première place. L'épisode du "pauvre con" du salon de l'Agriculture nous apporte sur un plateau un cas d'école de la dégringolade de la communication sarkozienne.

Nul doute que l'inauguration rituelle de "la plus grande ferme de France" ait été perçue comme un calvaire par l'actuel chef de l'Etat – qui s'y était fait huer lors de son dernier passage, alors qu'il n'était encore que candidat. Chirac ayant fait de ce rendez-vous l'apothéose régulière de son mandat, Sarkozy était sûr que la comparaison allait lui être défavorable. Ca n'a pas manqué: dans les présentations de la mi-journée des JT, les commentateurs soulignaient le “pas de course” présidentiel et la brièveté de la visite.

Mais le pire restait à venir. A 19h33, le site du Parisien.fr mettait en ligne une séquence vidéo de l'arrivée du cortège. Dans le désordre de la cohue, un visiteur dont les opinions politiques sont visiblement à l'opposé, est poussé vers le chef de l'Etat en train de serrer les mains. “Ah non, touche-moi pas! Tu me salis!”, lance impulsivement le quidam. Les deux hommes sont alors à quelques centimètres l'un de l'autre. Sarkozy se détourne vivement en laissant échapper un: “Casse-toi! Casse-toi alors, pauvre con!”, avant de poursuivre son chemin.

Il y a deux semaines, le feuilleton de Michel Mompontet sur France 2, intitulé "Mon oeil", avait consacré une passionnante séquence au phénomène du bain de foule, montrant les difficultés du responsable politique pris au piège de ce tourbillon, luttant pour remonter le courant. Le titre de ce film, "Rushes", indiquait que ce qu'on y voit n'est pas conforme au spectacle officiel, et représente un à-côté qui est habituellement écarté du montage final.

Comment un professionnel de la communication politique a-t-il pu laisser passer un tel écart de langage, alors qu'il était pile sous l'oeil de la caméra? Le petit film de Mompontet fournit deux premières pistes. D'abord, on se rend compte que la confusion du phénomène, combinée au nombre des sources d'enregistrement, rend à peu près impossible de tenir compte de chaque objectif. Mais on se dit aussi qu'un tel écart, lorsqu'il se produit, appartient au matériel qui n'aurait jamais dû être montré.

Or, l'identité du diffuseur ne doit rien au hasard. Le site du Parisien.fr s'est doté récemment d'une interface de présentation vidéo, hébergée par Kewego. Avant-hier, c'étaient les accusations calomnieuses de Rama Yade, enregistrés lors d'une réunion électorale à Colombes, qui étaient complaisamment mises en avant par la rédaction web du quotidien comme "La vidéo polémique qui «buzze» sur Internet". Nul doute que le dérapage du chef de l'Etat, qui dépasse les 300.000 vues aujourd'hui à 12h et a été recopié à plusieurs dizaines d'exemplaires sur les services de partage de vidéos en ligne (voir illustration ci-dessus), constitue une belle occasion de promouvoir la plate-forme du quotidien.

Mais l'absence d'auto-censure, de la part de rédactions qu'on a connu plus frileuses, est aussi un témoignage de la dégradation accélérée de la représentation présidentielle. Après avoir été longtemps corseté par la prudence et le ménagement, le traitement du personnage présidentiel s'inscrit désormais dans une logique du débondage, parfaitement illustré par le sketch culte d'Anne Roumanoff.

Comme l'apostrophe du Guilvinec, l'injure du salon de l'Agriculture appartient, non à la communication officielle du régime, mais à ses a-côtés, à ce qui a échappé à son contrôle. “Pauvre con!” n'est donc pas un lapsus au sens classique que lui donne la psychanalyse (substituer un autre mot au terme attendu), mais ce qu'on pourrait dénommer un lapsus propagandae – un faux-pas de la communication politique.

Cet épisode apporte quelques précisions utiles à l'étude du "style Sarkozy". En premier lieu, on constate que les éléments qui sont identifiés comme porteurs du style, à l'opposé du storytelling, sont précisément constitués par ces échappées et ces chutes. Ce sont elles qui, mises bout à bout, fournissent leur matériau premier aux vidéos parodiques. Dans l'exemplaire "Parle à mon nain" de Torapamavoa, on retrouve ainsi la plupart de ces lapsus du pouvoir, qu'il a suffi d'aligner en ribambelle.

La fréquence des dérapages présidentiels suggèrent ce que l'injure confirme: Nicolas Sarkozy n'a aucune conscience de l'"effet Dailymotion". Ses efforts de contrôle portent sur la communication traditionnelle et sur l'influence des médias, par la séduction ou l'intimidation. Mais il ne contrôle pas son style, fut-ce devant une caméra, et n'a pas conscience des dégâts produits par les embardées de son comportement en termes d'image. D'où son incompréhension devant la dégringolade des sondages, et son impuissance à en inverser le sens.

Tel un nouveau petit Poucet, le chef de l'Etat continue à laisser derrière lui ces traces qui font l'aliment du buzz. Il y a une certaine ironie à voir aujourd'hui son ancien mentor, Edouard Balladur, recommander au président d'"infléchir son style". Le conseil est avisé. Mais il n'est pas pour autant facile à suivre.

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