samedi 3 novembre 2007

ÉMIRATS ARABES UNIS • L'intifada des travailleurs indiens


La révolte inattendue des travailleurs immigrés du sous-continent indien à Dubaï montre combien leurs conditions de vie sont insupportables dans une des régions les plus nanties de la terre, constate le quotidien panarabe de Londres Al-Quds al-Arabi.

Après les récentes manifestations, à Dubaï, des travailleurs indiens pour dénoncer leurs conditions de vie humiliantes, les autorités ont d'abord voulu les expulser. Mais elles ont finalement décidé de présenter à la justice ceux d'entre eux qui avaient vandalisé des biens publics et privés. Les manifestations ne sont pas chose courante dans les pétromonarchies du Golfe, et encore moins de la part des travailleurs immigrés indiens, pakistanais, sri-lankais ou bangladais, qui constituent pourtant l'écrasante majorité des résidents de Dubaï. Les entrepreneurs les apprécient justement parce qu'ils ont la réputation de se soumettre à leurs ordres et d'accepter des salaires extrêmement bas.

Or, le 27 octobre, plus de 4 000 personnes sont descendues dans la rue, ont bloqué des routes d'accès à la zone industrielle de Jebel Ali et ont jeté des pierres sur les voitures de police. Ils demandaient davantage de bus pour les amener sur leurs lieux de travail, des logements moins surpeuplés et des salaires leur permettant de vivre dignement. Car aujourd'hui, ils s'entassent tous les matins dans des véhicules plus adaptés au transport du bétail qu'à celui des hommes, sont confinés dans des campements en plein désert et gagnent l'équivalent de 100 dollars par mois. Les responsables politiques estiment que leur sort relève du secteur privé qui les a embauchés, que cette grève constitue une violation des conditions dûment établies dans des contrats de travail, et que tout cela relève de la loi de l'offre et de la demande sur le marché de la main-d'œuvre...

Ces arguments sont justes dans la forme, mais dangereux sur le fond. Cela veut dire que le gouvernement légitime l'exploitation, voire le trafic, d'êtres humains et plie devant des hommes d'affaires sans pitié ni conscience, dont le seul but est d'accumuler des dollars sur leurs comptes en banque. Le résultat de leur avidité sans scrupule est l'insécurité et l'instabilité. Et c'est l'Etat qui en paie le prix. C'est donc à lui d'intervenir et de promulguer des lois, d'établir un salaire minimum, d'améliorer les conditions de vie et de poursuivre les entrepreneurs coupables d'atteinte à la loi. Dans un pays considéré comme l'un des plus riches, et où le coût de la vie est l'un des plus élevés au monde, est-il pensable de payer un travailleur 100 dollars par mois seulement ?

Il s'agit d'une sorte de signal d'alarme pour les gouvernements du Golfe. Ils ne devraient plus ignorer ce sujet explosif, alors qu'ils croulent sous les dollars grâce à la hausse des prix du pétrole. Quand ces immigrés descendent dans la rue, cela veut dire que le volcan d'humiliation accumulée est entré en éruption et qu'une grande explosion se prépare. La main-d'œuvre bon marché en provenance d'Asie forme [au moins] les deux tiers de la population dans toutes

les monarchies du Golfe. Rien qu'aux Emirats Arabes Unis, ils sont au moins 700 000 travailleurs émigrés. La langue arabe est marginalisée, au profit de l'ourdou et de l'anglais. C'est un sujet sensible, mais nous nous sentons le devoir de mettre en garde contre le tsunami qui menace les dirigeants et l'identité arabe de la région.

Il n'y a qu'une alternative. Soit nous acceptons de nous transformer en pays multiculturels, multiethniques et multireligieux, à l'instar des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, soit nous cherchons à préserver notre identité arabe. Et, dans ce cas, il faut clairement assumer une politique de naturalisation. Il n'est pas normal que des ressortissants de pays arabes ou d'autres pays étrangers vivent ici durant plus de quarante ans avec l'épée de Damoclès d'une expulsion possible à chaque instant, sans obtenir le statut de résident permanent, sans sortir du système de "tutorat" qui les maintient dans la dépendance vis-à-vis d'un autochtone pour le renouvellement de leur titre de séjour, et sans que leurs enfants, qui sont nés dans notre pays et en ont adopté les coutumes, ne puissent ni acquérir la nationalité ni même le droit de se faire soigner dans les hôpitaux publics.

Dans les autres pays du Golfe non plus, ces travailleurs ne peuvent pas faire venir leurs familles, faute de salaire suffisant, ce qui provoque désordres en tous genres, viols, homosexualité et maladies dangereuses pour la société. Récemment, le ministre américain du Travail est allé au Koweït pour dire que cela devait changer. C'est nouveau et cela risque d'être suivi bientôt par des pressions internationales visant à imposer des naturalisations massives. N'oublions pas que l'Inde est une grande puissance économique et militaire. Elle n'acceptera plus longtemps le sort fait à ses ressortissants. Dans le Golfe, on méprise et on se moque de ces travailleurs indiens, mais les voilà qui relèvent la tête. Car ils appartiennent à un pays qui fabrique des fusées transcontinentales et des ordinateurs dernier cri, alors que nous autres Arabes ne sommes toujours pas capables de produire nous-même nos keffiehs et djellabas.

Abdel Bari Atwan

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