mercredi 3 septembre 2008

Edvige: «Il suffira de participer à une manif pour être fiché !»

Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, est très remontée contre cette nouvelle base de données regroupant une multitude d'informations personnelles.

Propos recueillis par Marie Piquemal


Depuis le début de l'été, associations et syndicats se mobilisent contre le fichier Edvige (littéralement: Exploitation documentaire et valorisation de l'information générale).

La pétition, «Non à Edvige!», circulant sur Internet, a déjà recueilli quelque 90.000 signatures. Et un recours a été déposé vendredi devant le Conseil d'Etat pour obtenir le retrait pur et simple de ce nouveau fichier considéré comme «liberticide» par Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (gauche). Elle alerte sur les dangers de ce texte et les dérives possibles.




Le principe du fichage n’est pas nouveau. En quoi ce nouveau fichier, baptisé Edvige, est-il liberticide?

Ce n’est pas une simple réactualisation de l’ancien décret de 1991 relatif aux fichiers gérés par les services des renseignements généraux. Le nouveau texte va beaucoup plus loin. Prenons un exemple. Jusqu’ici étaient fichées «les personnes majeures qui, par leurs actions violentes, étaient susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’Etat». Désormais, seront visées toutes les personnes, «âgées de 13 ans et plus, susceptibles de troubler l’ordre public». La nouvelle formule est beaucoup plus large: il ne s’agit pas de ficher les délinquants mais toutes les personnes susceptibles de troubler l’ordre public. Donc, participer à une manifestation serait, selon le texte, une raison suffisante pour être fiché…

En pratique, qui pourra être fiché?

Impossible à dire, c’est tentaculaire. Le texte vise toute personne de plus de 13 ans, «ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif.» Bref, toutes les personnes engagées dans la vie sociale... Et leur entourage! On voit bien là les risques de dérives. Par ricochet, tout le monde sera un jour ou l'autre fiché.

Vous dénoncez aussi l’utilisation qui pourra être faite de ces fichiers…

Oui, là encore, contrairement au décret de 1991, le nouveau fichier Edvige pourra être consulté dans le cadre des enquêtes administratives. Prenons un exemple: vous participez à un mouvement lycéen (vous êtes donc fiché) et quelques années plus tard, vous vous présentez à un concours de la fonction publique. Et bien, le jury disposera d’une multitude de données collectées à votre sujet: déplacements, fréquentations, informations fiscales et patrimoniales voire vos tendances sexuelles et votre dossier de santé.

Nos voisins européens disposent-ils de fichiers semblables?

Non, nous sommes la seule démocratie en Europe où il existe une police politique. Car il s’agit bien de cela. En France, nous avons toujours eu la manie du fichage. A une différence près: au temps de Napoléon, la police politique ne disposait pas des mêmes moyens techniques, son action était donc limitée. Aujourd’hui, c’est autrement plus dangereux. Quoi qu’en dise le gouvernement, l’existence même d’un tel texte est inquiétante. Comment garantir que le fichier Edvige ne tombe pas un jour dans les mains d’un régime comme Vichy ou l’équivalent ?

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