samedi 5 juillet 2008

COLOMBIE • De l'incertitude à l'euphorie


La libération d'Ingrid Betancourt a plongé le pays dans l'euphorie. Ce qui tombe à pic pour le président Uribe, dont la réélection en 2006 est actuellement contestée par la Cour suprême, remarque le directeur de Cambio, Rodrigo Pardo. Mais une chose est sûre : cette opération est un coup fatal porté aux FARC.

Quel pays incroyable. En l'espace de quelques heures, la Colombie est passée d'une phase de grande incertitude constitutionnelle [la Cour suprême ayant jugé, le 26 juin, que le scrutin présidentiel de 2006 qui a vu la réélection d'Alvaro Uribe était entaché de corruption], la plus importante depuis de nombreuses années, à une phase des plus euphoriques. Du choc des pouvoirs à la libération d'Ingrid Betancourt, de trois Américains et de onze soldats et policiers. Du bord du précipice à la plénitude de l'espérance.
Mais, au-delà de ce contexte et de l'immense bonheur que procure ce retour à la liberté, la nouvelle a des implications historiques qui se feront sentir à long terme. On disait déjà, depuis la mort de Reyes [Raùl Reyes, numéro deux des FARC tué le 1er mars dernier lors d'une opération militaire colombienne en territoire équatorien], de Ríos [Ivan Rios, tué la même semaine] et de Marulanda [Manuel Marulanda, le chef historique des FARC, dont la mort naturelle a été annoncée le 22 mai] et la reddition de Karina [une des figures emblématiques des FARC, qui s'est rendue le 19 mai], que le début de la fin avait sonné pour les FARC, mais ce coup est le plus dur de tous. Non pas parce que les FARC seraient sur le point d'être anéanties ou que s'ouvriraient désormais automatiquement les portes d'un processus de paix. C'est un coup extrêmement dur parce que ces FARC bravaches et arrogantes, convaincues de pouvoir prendre le pouvoir par la force, ont aujourd'hui le souffle coupé. Comme le reconnaît le président vénézuélien Hugo Chávez lui-même, le projet de révolution armée n'est pas viable.
On retiendra d'abord qu'il s'agit d'une opération militaire. La première explication, donnée par le ministre Juan Manuel Santos, souligne que l'action a été impeccablement menée, agrémentée d'ingrédients cinématographiques : infiltration, manipulation, renseignements, audace. De plus amples détails nous seront fournis bientôt, mais une chose est sûre : le gouvernement a réussi à vaincre les craintes et la méfiance accumulées qui pesaient sur ces opérations de libération musclées depuis les morts tragiques de l'ancien gouverneur Gilberto Echeverri et de Guillermo Gaviria [en mai 2003]. Contre vents et marées, le président Uribe est parvenu à ses fins.
Le coup porté aux FARC est également très significatif par sa portée politique et par la médiatisation internationale des personnes libérées. Maintenant qu'Ingrid, les Américains et les policiers sont sortis de la jungle, les FARC ont perdu le principal levier de manipulation dont ils usaient ces dernières années. La guérilla pourrait ne plus compter sur l'oreille que lui accordaient certains gouvernements étrangers comme la France, ni sur la médiation de certains dirigeants cherchant à coopérer en vue d'un accord humanitaire. Les pressions pour la démilitarisation de Pradera et Florida, dans la vallée du Cauca, seront moins douloureuses pour le gouvernement colombien dans la mesure où les otages sont moins nombreux (et moins importants).
Cet épisode se produit au pire moment pour les FARC. C'est un baptême du feu pour leur nouveau chef, Alfonso Cano, qui n'a pas eu le temps d'asseoir son autorité ni de fixer ses orientations, et qui, après les revers subis sur divers fronts, se voit fermer de nombreuses portes. Si les premières versions données sont confirmées, le chef de la guérilla s'est lui-même fait piéger par l'opération d'infiltration, ses communications téléphoniques ayant été interceptées. Mauvais débuts pour un commandant qui va devoir répondre de cette mauvaise passe devant sa base.
Pour Alvaro Uribe, en revanche, cette victoire survient au meilleur moment, alors qu'il était sous le feu des critiques pour avoir proposé un référendum sur une nouvelle élection présidentielle [sa réélection de 2006 étant contestée]. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que le hasard lui fournit un gilet de sauvetage sur un plateau d'argent : rappelons seulement l'histoire incroyable d'Emmanuel [le fils de Clara Rojas], en décembre dernier. Ou les révélations de l'ordinateur de Reyes au moment même où la communauté internationale mettait en cause l'intervention colombienne, en territoire équatorien, contre le camp où se trouvait l'ancien chef des FARC. Uribe est un président chanceux, plus que tout autre, et l'affirmer n'ôte aucun mérite à ce nouveau succès de la sécurité démocratique à laquelle il œuvre avec dévouement, acharnement et entêtement.
Le retour d'Ingrid et de ses compagnons d'infortune remplit les Colombiens de joie. C'est incontestable. Mais alors qu'on entendait, il y a une semaine, de puissants appels à une gestion sensée de la crise, plus aucun ne retentit aujourd'hui pour appeler à un peu de raison dans tant d'euphorie. Pour demander, par exemple, qu'on pense à ces dizaines de Colombiens qui se trouvent toujours dans la jungle, au fils de Gustavo Moncayo [le plus ancien des otages des FARC] et aux autres soldats et policiers otages. Espérons que leur manque de poids politique et de liens avec d'autres pays et gouvernements ne les fera pas sombrer dans l'oubli.

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