dimanche 10 août 2008

Mahmoud Darwich (محمود درويش) est mort

Le poète palestinien Mahmoud Darwich, qui avait mis en mots les rêves d'un Etat palestinien et contribué à forger une identité nationale palestinienne, est mort samedi à l'âge de 67 ans aux Etats-Unis. Il était considéré comme l'un des plus grands poètes arabes.

Trois jours de deuil ont été décrétés par le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. On ignorait dans l'immédiat si Mahmoud Darwich serait inhumé en Cisjordanie ou dans son village d'origine aujourd'hui en Israël.

Après l'annonce de son décès, samedi soir, des dizaines de palestiniens se sont rassemblés dans le centre de Ramallah en Cisjordanie, allumant des bougies.

Selon Nabil Abou Rdeneh, porte-parole de Mahmoud Abbas qui a annoncé son décès, Mahmoud Darwich est mort dans un hôpital de Houston (Texas) après des complications faisant suite à une intervention chirurgicale à coeur ouvert.

Mahmoud Darwich s'était fait connaître dans les années 60 avec son premier recueil de poésie, "Oiseaux sans ailes". Nombre de ses poèmes ont été mis en musique, dont "Rita" ou "Oiseaux de Galilée", hymnes pour plusieurs générations de Palestiniens. Ses recueils traduits en plus de 20 langues ont obtenu plusieurs prix littéraires.

Il avait écrit la Déclaration d'indépendance de 1988 lue par le défunt président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat, lors que ce dernier, alors président de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), avait proclamé unilatéralement et symboliquement la création d'un Etat palestinien.

"Il sentait le pouls des Palestiniens et le traduisait en belle poésie. Il était le miroir de la société palestinienne", a commenté Ali Qleibo, conférencier à l'Université Al Qods de Jérusalem.

"Il a débuté comme un poète de la résistance puis est devenu un poète de la conscience. Il incarnait le meilleur des Palestiniens", notait pour sa part la députée palestinienne Hanane Achraoui. "Même lorsqu'il est devenu une icône, il n'a jamais perdu son sens de l'humanité. Nous avons perdu une partie de notre être".

Un autre hommage est venu de France, où le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner a fait part de son "émotion". Mahmoud Darwich, a-t-il observé, "a su exprimer l'attachement de tout un peuple à sa terre et à la volonté absolue de paix. Son message, qui invite à la coexistence, continuera de résonner et finira par être entendu".

Mahmoud Darwich dénonçait l'occupation israélienne des territoires palestiniens mais aussi les combats entre les islamistes du Hamas et le Fatah de Mahmoud Abbas. Il avait ainsi récité l'an dernier un poème condamnant ces luttes fratricides, qualifiées de "tentative publique de suicide dans les rues".

Le poète était né en 1941 en Palestine, alors sous mandat britannique, à Biroueh près de Haïfa, qui fut détruit lors de la guerre de 1948 et la création de l'Etat d'Israël. Entré au parti communiste israélien après le lycée, il commença à écrire des poèmes pour des journaux de gauche. "Quand on pense à Darwich (...) il est notre coeur et notre langue), expliquait le député arabe israélien et vétéran du parti communiste israélien Issam Makhoul.

Au début des années 70, Darwich quitte Israël pour aller étudier en Union soviétique puis se rend en Egypte et au Liban. Il rejoint l'OLP en 1973 mais démissionne en 1993 pour protester contre les accords d'Oslo conclus par Yasser Arafat avec l'Etat hébreu. Il s'installera à Ramallah en 1996.

Son travail, unanimement admiré par l'ensemble des Etats arabes et des Palestiniens, a suscité des réactions controversées en Israël. En 2000, le ministre israélien de l'Education, Yossi Sarid, avait suggéré d'intégrer certains des poèmes de Darwich dans le programme du secondaire, à propos du conflit israélo-palestinien. Mais Ehoud Barak, alors Premier ministre, s'y était opposé, arguant du fait qu'Israël n'était pas encore prêt à intégrer ses idées dans le système scolaire.

En 1988, un poème de Darwich avait été lu à la Knesset, le Parlement israélien, par le Premier ministre l'époque Yitzhak Shamir pour illustrer l'absence de volonté selon lui de vivre côte à côte avec les juifs. Mais un spécialiste de la poésie de Darwich assure que le poème avait été mal compris et mal traduit.

Son dernier livre "L'impression des Papillons" est sorti en 2008. Son dernier recueil de poèmes traduit de l'arabe en français, par Elias Sanbar, "Comme des fleurs d'amandier ou plus loin" est paru en 2007 chez Actes Sud. Mahmoud Darwich avait participé au festival des musiques du monde, Les Suds, à Arles, en juillet 2008 (voir photo avec Leïla Chahid et les musiciens palestiniens Samir et Wissam Joubran)

Au fond, la poésie c’est ça : Mahmoud Darwich, l’un des plus grands poètes de langue arabe, lisant ses poèmes en arabe en France devant un public français dont bon nombre ne comprennent pas un mot de sa langue, et qui l’écoutent des heures envoûtés par cette musique, captivés par ce que leur disent intimement ces mots qu’ils reçoivent en profondeur alors qu’ils leur sont en principe étrangers. C’est ce mystère qui est poésie. C’était il y a peu et plusieurs lecteurs de la “République des livres” ont témoigné ici même de l’émotion qui fut la darwis.1218318471.jpgleur cette nuit-là. Inoubliable. Avec la mort du poète palestinien aujourd’hui à 67 ans dans un hôpital de Houston (Texas) à la suite de sa troisième opération à coeur ouvert, quelque chose disparaît. Ses livres resteront bien sûr ; ses poèmes lui survivront, longtemps ; son nom va continuer à briller au firmament du patrimoine culturel du monde arabe ; mais ce qui manquera à jamais, c’est sa voix, ce grain unique assorti d’un regard porteur d’une vision.

Né à Al-Birweh (Galilée) dans la Palestine du mandat britannique, il s’était exilé en 1970, vivant dans plusieurs villes étrangères, notamment à Paris (”J’habite dans une valise” disait-il alors) ne retournant dans son pays qu’un quart de siècle plus tard pour s’installer à Ramallah (Cisjordanie). Il s’était retrouvé un peu malgré lui à se faire le porte-voix de la cause palestinienne, notoriété et prestige obligent. Ces dernières années, il avait pris ses distances, réservant ses ultimes lances à Yasser Arafat auquel il consacra des tribunes implacables. Rien ne l’exaspérait que d’être réduit et enfermé dans l’appellation de “poète officiel de son peuple” ou de ”poète de la résistance”. Son oeuvre est irradiée par la présence charnelle de cette terre, par son souvenir, par l’absence et par l’exil. Son poème “Pense aux autres”, reproduit ici même il y a un an en témoignait parmi tant d’autres. Il se réclamait d’une tradition lyrique et humaniste qui puise son inspiration dans un imaginaire arabe bien antérieur à la naissance de l’Islam. Sans ignorer l’Histoire, il travaillait à soulager sa poésie du poids, de l’intensité et de la pression de l’Histoire immédiate. Face au chaos ambiant, il revendiquait le droit à l’absurde. Sa poésie ne se lamentait pas. Il faut le lire et, le lisant, écouter son chant secret, universel dans sa faculté de dire la détresse et l’espoir de tous et de chacun, comme dans ce poème extrait de son dernier recueil paru en français :

Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes
et donne à ta vie une autre chance
de restaurer le récit.
Toutes les amours ne sont pas trépas,
ni la terre, migration chronique.
Une occasion pourrait se présenter, tu oublieras
la brûlure du miel ancien.
Tu pourrais, sans le savoir, être amoureux
d’une jeune fille qui t’aime
ou ne t’aime pas, sans savoir pourquoi
elle t’aime ou ne t’aime pas.
Adossé à un escalier, tu pourrais
te sentir un autre dans les dualités.
Sors donc de ton moi vers un autre toi,
de tes visions vers tes pas,
et élève ton pont
car le non-lieu est le piège
et les moustiques sur la haie irritent ton dos,
qui pourraient te rappeler la vie !
Vis, que la vie t’entraîne
à la vie,
pense un peu moins aux femmes
et dépose
ici
et maintenant
la tombe que tu portes !


”Dépose ici et maintenant” extrait de Ne t’excuse pas, (Lä ta’tadhir’ammâ fa’alta) recueil de poèmes traduits de l’arabe par Elias Sanbar, 132 pages, 18 euros, Editions Sinbad/ Actes sud, 2006)




Arles le 14 juillet 2008












Identité


Ce célèbre poème, écrit en 1964, est devenu comme un refrain magique enflammant les cœurs et déchaînant les sentiments de fierté et d'enthousiasme des Palestiniens. Mahmoud DARWICH est souvent interpellé, lors de ses récitals, par un public qui le lui réclame et voit en lui plus un prophète qu'un poète tout simplement... Mais à chaque fois, il refuse, préférant lire ses nouveaux poèmes.


Inscris !
Je suis Arabe

Le numéro de ma carte : cinquante mille

Nombre d'enfants : huit

Et le neuvième... arrivera après l'été !

Et te voilà furieux !


Inscris !

Je suis Arabe

Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine

Et j'ai huit bambins Leur galette de pain
Les vêtements, leur cahier d'écolier Je les tire des rochers...
Oh ! je n'irai pas quémander l'aumône à ta porte

Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais

Et te voilà furieux !


Inscris !
Je suis Arabe

Sans nom de famille - je suis mon prénom
« Patient infiniment » dans un pays où tous

Vivent sur les braises de la Colère

Mes racines...
Avant la naissance du temps elles prirent pied

Avant l'effusion de la durée

Avant le cyprès et l'olivier
...avant l'éclosion de l'herbe
Mon père... est d'une famille de laboureurs
N'a rien avec messieurs les notables

Mon grand-père était paysan - être Sans valeur - ni ascendance.
Ma maison, une hutte de gardien
En troncs et en roseaux

Voilà qui je suis - cela te plaît-il ?

Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.

Inscris !

Je suis Arabe

Mes cheveux... couleur du charbon
Mes yeux... couleur de café
Signes particuliers : Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré
Et ma paume est dure comme une pierre ...elle écorche celui qui la serre
La nourriture que je préfère c'est
L'huile d'olive et le thym

Mon adresse : Je suis d'un village isolé...
Où les rues n'ont plus de noms

Et tous les hommes... à la carrière comme au champ

Aiment bien le communisme

Inscris !
Je suis Arabe

Et te voilà furieux !
Inscris

Que je suis Arabe
Que tu as raflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais

Moi et mes enfants ensemble

Tu nous as tout pris hormis

Pour la survie de mes petits-fils

Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
...à ce que l'on dit !

DONC
Inscris !

En tête du premier feuillet

Que je n'ai pas de haine pour les hommes

Que je n'assaille personne mais que
Si j'ai faim

Je mange la chair de mon
Usurpateur

Gare ! Gare ! Gare
À ma fureur !



Mahmoud Darwich
traduction: Olivier Carré
Chronique de la tristesse ordinaire suivie de Poèmes palestiniens
Paris, Les Éditions du Cerf, 1989

A ma mère (1966)

J’ai la nostalgie du pain de ma mère,
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J'aurais honte des larmes de ma mère !

Fais de moi, si je rentre un jour,
Une ombrelle pour tes paupières.
Recouvre mes os de cette herbe
Baptisée sous tes talons innocents.
Attache-moi
Avec une mèche de tes cheveux,
Un fil qui pend à l'ourlet de ta robe...
Et je serai, peut-être, un dieu,

Peut-être un dieu,
Si j'effleurais ton coeur !
Si je rentre, enfouis-moi,
Bûche, dans ton âtre.
Et suspends-moi,
Corde à linge, sur le toit de ta maison.
Je ne tiens pas debout
Sans ta prière du jour.
J'ai vieilli. Ramène les étoiles de l'enfance
Et je partagerai avec les petits des oiseaux,
Le chemin du retour...
Au nid de ton attente !

Citations

« L’histoire de la Palestine a toujours été une histoire plurielle. Et le conflit qui nous oppose aux Israéliens, sur le plan conceptuel, tourne autour de cela. Eux voudraient que l’histoire de la Palestine commençât avec leur histoire, c’est-à-dire depuis les siècles où ils peuplèrent et régnèrent sur cette terre. Comme si l’histoire s’était cristallisée et qu’il n’y avait rien avant et rien après. L’État d’Israël d’aujourd’hui serait le prolongement naturel de cette période. Nous, nous pensons que l’histoire de la Palestine débute depuis qu’il y a des hommes, du moins les Cananéens. Et si elle se poursuit avec la période juive, et nous ne cherchons pas à le nier, l’histoire de la Palestine est plurielle. Elle englobe aussi bien les Mésopotamiens, les Syriens, les Perses, que les Égyptiens, les Romains, les Arabes, plus tard les Ottomans. Son histoire s’est peut-être faite dans la violence ; il n’empêche qu’elle est le fruit de la rencontre de tous ces peuples. Cette pluralité est une richesse. Et je me considère comme l’héritier de toutes ces cultures et ne me sens aucunement gêné de dire qu’il y a une part juive en moi. Je n’arrive pas à concevoir une possession exclusive de ce territoire. Je ne réponds pas aux Israéliens qui prétendent être dans le prolongement du royaume d’Israël que je suis le prolongement des Cananéens. Je ne cherche pas à dire que j’étais là avant eux, je dis seulement : je suis le produit de tout cela et je l’accepte et je l’assume. »

  • "Mais nous souffrons d'un mal incurable qui s'appelle l'espoir. Espoir de libération et d'indépendance. Espoir d'une vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l'école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d'amour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de cet espoir. "
  • "Celui qui m'a changé en exilé m'a changé en bombe... Palestine est devenue mille corps mouvants sillonnant les rues du monde, chantant le chant de la mort, car le nouveau Christ, descendu de sa croix, porta bâton et sortit de Palestine."

Nous serons un peuple

Le village du livre de la Fête de l’Humanité mettra à l’honneur cette année la littérature arabe. La soirée sur la poésie palestinienne, qui était prévue dans ce cadre, prendra la forme d’un hommage à Mahmoud Darwich, en présence d’Elias Sambar, son traducteur, et de Farouk, son éditeur. C’est par ailleurs avec l’autorisation d’Actes Sud que nous publions ci-après l’un de ses derniers poèmes dont la parution est prévue au printemps 2009. Un entretien avec le poète, paru cette année dans l’Humanité Dimanche, sera mis en ligne dans la rubrique village du livre du site de la fête. (l'Humanité du 11-08-08)

Si nous le voulons

Nous serons un peuple, si nous le voulons, lorsque nous saurons que nous ne sommes pas des anges et que le mal n’est pas l’apanage des autres.

Nous serons un peuple lorsque nous ne dirons pas une prière d’actions de grâce à la patrie sacrée chaque fois que

le pauvre aura trouvé de quoi dîner.

Nous serons un peuple lorsque nous insulterons le sultan et le chambellan du sultan, sans être jugés.

Nous serons un peuple lorsque le poète pourra faire une description érotique du ventre de la danseuse.

Nous serons un peuple lorsque nous oublierons ce que nous dit la tribu…, que l’individu s’attachera aux petits

détails.

Nous serons un peuple lorsque l’écrivain regardera les étoiles sans dire : notre patrie est encore plus élevée… et plus belle !

Nous serons un peuple lorsque la police des moeurs

protégera la prostituée et la femme adultère contre

les bastonnades dans les rues.

Nous serons un peuple lorsque le Palestinien ne se souviendra de son drapeau que sur les stades, dans les concours de beauté et lors des commémorations de la Nakba. Seulement.

Nous serons un peuple lorsque le chanteur sera autorisé

à psalmodier un verset de la sourate du rahmân dans un

mariage mixte.

Nous serons un peuple lorsque nous respecterons

la justesse et que nous respecterons l’erreur.




Mahmoud Darwich, l'exil au cœur

Par Tahar Ben Jelloun (Écrivain)

Le grand poète palestinien est mort comme il a vécu: en exil, thème qui hante toute son oeuvre. Son ami l'écrivain Tahar Ben Jelloun lui rend un dernier hommage.

Mahmoud Darwich était mon ami rare, précieux, et plein d'humour. Je le revois après son premier infarctus en 1984, une cigarette entre les doigts. Je lui dis: «Mais
tu n'as pas le droit de fumer, ton coeur est fragile!» Il me répond: «Le médecin m'a interdit la cigarette, l'alcool et même le reste. Je lui ai dit: c'est la vie d'un âne, je n'en veux pas!» Il a persévéré dans son être, sans se préserver, jusqu'à son deuxième infarctus en 1998; le dernier, le 9 août, lui ayant été fatal. Il me disait aussi: «Nous n'avons pas d'Etat, mais nous avons beaucoup d'humour», et il citait son ami, le romancier arabe israélien Emile Habibi, lui aussi tôt disparu.J'ai eu la joie de traduire quelques-uns de ses poèmes. C'est là où je me suis rendu compte de l'extrême richesse de son imaginaire, de la beauté de son vocabulaire. Il était né poète, il ne l'est pas devenu. Il n'était pas militant au sens classique du terme. Tout son être, toute sa vie n'avaient de sens que par et dans le poème. Ce n'est pas parce qu'il était palestinien, ce n'est pas parce qu'il a souffert de l'arrachement et de l'exil qu'il a été poète. C'est pour exprimer ce que des millions d'êtres subissent comme injustices, humiliations, dépossession et mépris qu'il a été poète. Il détestait qu'on dise de lui: «poète de la résistance». Le citoyen résistait, mais le poète allait au-delà et portait le rêve d'un peuple dans les foyers les plus lointains, les plus étrangers à la question palestinienne. Un de ses premiers textes dit:


«Celui qui m'a changé en exilé m'a changé en bombe. Je sais que je vais mourir, je sais que je livre une bataille perdue au présent, car elle est d'avenir. Et je sais que la Palestine - sur la carte - est loin. Et je sais que vous avez oublié mon nom dont vous avez falsifié la traduction. Et tout cela je le sais. Et c'est pourquoi je porte la Palestine sur vos boulevards, dans vos maisons, dans votre chambre à coucher.»

Il a pris des positions politiques précises, notamment quand il quitta l'OLP en 1993 pour dire son scepticisme, pour ne pas dire son refus des accords d'Oslo. La suite lui donna, hélas, raison. Comme son compatriote Edward Saïd, il avait un sens politique très aigu, parce qu'il était un homme libre et jamais inféodé à un parti ou à une idéologie (dans sa prime jeunesse, il entra au Parti communiste israélien, le seul où Arabes et Juifs militaient ensemble). Mais ce qui était important, c'était la poésie. C'était un homme ivre de vie. Il était visionnaire, sans tapage. Il ne se mettait jamais en avant, il aimait rire et raconter avec légèreté des histoires graves. Un jour, dans un colloque à Valence, il m'a dit: «J'habite dans une valise.» C'était cela l'exil, la douleur de l'exil.

Il était devenu célèbre pour un poème qui commence ainsi: «Inscris : je suis arabe.» Poème de circonstance qu'il n'aimait pas trop et qui l'a poursuivi longtemps. Peut-être pour réagir à cela, il a écrit beaucoup de poèmes d'amour, et par amour. Un des derniers commence ainsi:

«Il lui dit: ah si j'étais plus jeune...
Elle dit: je grandirai de nuit comme le parfum du jasmin l'été
Et elle ajoute: et toi, tu rajeuniras
en dormant car tout dormeur est un enfant
Quant à moi, je veillerai jusqu'au matin
que noircissent mes cernes.»

C'était un homme populaire. Partout où il récitait ses poèmes, il y avait foule. Je me souviens d'une soirée au Théâtre Mohamed V à Rabat, où la police a dû intervenir pour disperser plus de 2000 personnes qui n'avaient pas pu entrer dans la salle. Cette popularité des poètes est chose courante dans le monde arabe, mais ce qui le distinguait des autres poètes arabes, c'était sa rupture avec les litanies, les pleurs des mots et des sentiments. Il a donné à la poésie arabe une nouvelle direction, plus rigoureuse, un souffle neuf.

Ses thèmes étaient universels: la terre, l'exil, la mort, l'amour impossible, la détresse de ceux à qui on a tout pris, y compris l'espoir. Comme écrit son ami et traducteur (en français) Elias Sanbar: «Au-delà de toute préoccupation technique demeurent ses choix premiers: en poésie, toute idée, toute pensée doit passer par les sens; toute poésie est d'abord orale, et par là musique; et elle s'arme de fragilité humaine pour résister à la violence du monde.»

En 2000, le ministre israélien de l'Education Yossi Sarid avait suggéré que certains poèmes de Mahmoud Darwich soient intégrés dans les programmes des écoles; le Premier ministre de l'époque Ehoud Barak s'y était opposé. La poésie est dangereuse, c'est-à-dire contagieuse! Sans doute. Celle de Mahmoud Darwich fait l'éloge de la résistance, de la justice et de la dignité. Valeurs universelles qui font peur aujourd'hui encore, et pas uniquement en Israël.

Tahar Ben Jelloul


1 commentaire:

Anonyme a dit…

And also we ensure that when we enter in this specific blog site we see to it that the topic was cool to discuss and not a boring one.