Goût du clinquant, coterie d'amis riches et libéralisme à l'anglo-saxonne : Nicolas Sarkozy tient plus de Napoléon III que de Bonaparte. En attendant la Commune...
Il y a quelques mois, The Economist l’a représenté en Bonaparte à cheval, d’après le célèbre tableau de Jacques-Louis David [Le Passage du Grand-Saint-Bernard], et la presse internationale dans son ensemble a pris l’habitude de l’associer à l’Empereur, notamment en raison de sa petite taille et de son caractère autoritaire. Mais ce que les journalistes étrangers oublient, manifestement, c’est que la France compte autant de styles d’autoritarisme que de fromages. Nicolas Sarkozy n’a rien de Napoléon Bonaparte. Pour commencer, il vient de supprimer la grâce présidentielle habituellement accordée aux prisonniers le 14 juillet, mesure dont Napoléon usait lui-même. Du reste, si l’actuel locataire de l’Elysée possédait une once du génie et de la vision du Corse, nous aurions de quoi espérer.
En réalité, notre chef suprême ressemble beaucoup plus à un autre Napoléon : à Napoléon le Petit, comme l’avait surnommé Victor Hugo. Ce succédané d’empereur était Napoléon III, neveu du grand homme, dictateur dandy et souverain libéral qui régna de 1852 à 1870. Or, chers amis britanniques, le fait que Sarkozy lui ressemble n’est pas une bonne nouvelle pour la France.
Le soir même de l’élection, l’alarme a retenti dans la conscience nationale. Que fait notre énergique président ? Bouche bée, incrédules, nous l’avons vu descendre de sa voiture sur les Champs-Elysées pour dîner au Fouquet’s, sorte de Hard Rock Café clinquant. Puis il s’est éclipsé pendant trois jours sur un yacht à Malte, tous frais payés par le magnat Vincent Bolloré. Certains d’entre nous ont ressorti leurs manuels d’histoire et ont tout compris en relisant le chapitre consacré au Second Empire. La culture du clinquant, les coteries d’amis riches et puissants aux commandes, Sarkozy est notre nouveau Napoléon III.
Le “Petit” fut élu président de la Deuxième République en 1848, puis régna en dictateur éclairé*, en empereur libéral, comme il aimait à s’imaginer, depuis son coup d’Etat de 1851 jusqu’à sa chute, en 1870. Cette période de l’histoire, connue donc sous le nom de Second Empire, présente effectivement des similitudes frappantes avec la nouvelle France. Napoléon III croyait avant tout en lui-même et croyait dans les actes plutôt que dans la morale.
C’était ce dont la France avait besoin, pensaient ses partisans – catholiques réactionnaires et nouveaux riches. Il avait un but, convaincre les Français qu’ils devaient s’enrichir, afin de résoudre du même coup les problèmes sociaux qui ébranlaient le pays. Il a bâti une politique économique libérale inspirée par ses années d’exil aux Etats-Unis et en Angleterre. La France bascula dans le clinquant, il n’y eut plus un poignet, un décolleté, une demeure où ne brillait l’or. Les riches bourgeois affichaient leur opulence au nez et à la barbe du peuple. Ses fidèles comptaient sur l’empereur pour veiller à ce que les “petites gens” se tinssent tranquilles tandis qu’eux-mêmes devenaient plus riches encore. Les représentants les plus actifs des républicains furent contraints de s’exiler.
Sous Napoléon III, la presse n’était libre qu’en théorie. Les publications jugées trop critiques avaient droit à d’aimables “avertissements” des autorités. L’autocensure devint alors une seconde nature pour les journalistes. Si de grands artistes ont pu émerger malgré tout, ils le firent en exil, ou en courant le risque d’être traînés en justice pour “immoralité”, comme Baudelaire et Flaubert.
Comme pour tout ou presque en France, le peuple a fini par en avoir assez. Paris vécut la Commune, et Napoléon III s’exila dans le Kent [après sa défaite face à la Prusse et son abdication].
Bien qu’éphémère, la Commune eut sur l’histoire du monde un impact infiniment plus important que les dix-huit ans de prospérité de Napoléon III. Espérons que Nicolas Sarkozy a pensé à emporter à l’Elysée un précis d’histoire de France. C’est le genre de lecture qui pourrait lui être profitable.
Agnès Poirier (The Gardian, Londres)
Vu de Grèce
Strauss-Kahn, Fabius, Lang… La pêche aux membres du Parti socialiste (PS) pratiquée par le président français Nicolas Sarkozy se poursuit, et rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Cette “ouverture” n’est pourtant pas très étonnante. Après tout, n’a-t-il pas flirté avec l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen avec un certain succès : ce dernier a été électoralement laminé. Pourquoi ne pas tenter la même aventure avec le PS ? L’exemple le plus récent est la tentative de débauchage de Jack Lang. L’intéressé est flatté, son parti le jalouse et Sarkozy ne s’en porte que mieux… du moins en apparence. Car, si tout semble réglé au millimètre, la politique du président français n’a pour but que de marquer une “rupture” avec l’“ancien régime” chiraquien.
Mais c’est à partir de septembre que nous pourrons voir si l’hyperprésident est à la hauteur de son activisme. En effet, le candidat Sarkozy a annoncé des réformes qui, en plus d’irriter les syndicats, risquent de mettre en porte-à-faux ceux qui se sont laissés aller à l’“ouverture”.
Ta Nea (Athènes)
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