Quelques remarques sur L’être et le néant
Photographie de Brassaï (1899-1984) Sartre, café de Flore (1944)
Voilà, pour l’impudence à tenter de « résumer », même à ma façon très cavalière, une telle œuvre ! L’essentiel, pour moi ( sic), est d’avoir osé affronter pareil « monstre », avec beaucoup de parties « démonstratives » un peu vite lues, et bien des difficultés certes. Mais aussi avec un évident intérêt, à tel point que quand j’ai eu fini le livre j’ai ressenti ce manque (image du néant sartrien donc) que l’on éprouve habituellement quand on a vécu un moment important de sa vie, ne fut-ce qu’un moment culturel. Je termine en notant qu’il faut reconnaître à Sartre, malgré ou à cause de l’exigence de son livre, des qualités pédagogiques au moins par l’utilisation de très nombreux exemples, souvent tirés du commun : les spécialistes renâclent peut-être sur la valeur significative de tels exemples, néanmoins je n’ai pas le souvenir d’un philosophe (allemand en particulier) qui fasse preuve d’autant d’attention à l’abondance des dits exemples. L’écrivain « de fiction » resurgit d’ailleurs à ces occasions et certains exemples sont manifestement traités sur le mode de la nouvelle ou du roman policier.
Sur la mauvaise foi
Sartre illustre les conduites de la mauvaise foi par de nombreux exemples, dont les deux suivants : Celui de la femme, à son premier rendez-vous avec un homme (premier tout court, ou premier avec cet homme, on ne sait), qui feint de ne pas envisager les intentions (sexuelles) de l’autre, tout en conservant l’idée de désir dans sa démarche. Elle n’accepte (en elle-même, et socialement) que les seules manifestations de respect, d’admiration ou d’estime, mais se refuse à prendre en compte les aspects les plus crus du désir (les siens inclus ?). Sartre y voit non seulement une espèce de divorce corps/âme (expression que JE trouve un peu vieillotte et inattendue chez Sartre), une reconnaissance du désir « transcendée » (mais il ne faut pas interpréter ce concept en termes de morale) et une démarche qui tend à désarmer les conduites (ultérieures ?) de l’homme (on peut déjà s’interroger sur la cohérence du projet « amoureux »). Mais surtout, philosophiquement, en agissant ainsi la femme réduit les conduites de l’homme à « n’être que ce qu’elles sont, c’est à dire à exister SUR le mode de l’en-soi », pure fiction que chacun peut comprendre (même Arsinoé, surtout elle, là c’est moi qui cause). Sartre dit carrément, mais clairement (me semble-t-il), qu’elle « jouit de son désir en le saisissant comme n’étant pas ce qu’il est ».
Un autre exemple est en effet celui du garçon de café (puisque s'en souvenait Claudine) qui par sa gestuelle parfois très convenue ou même exagérée (comme n’importe qui a pu l’observer), joue à « être garçon de café ». Pour Sartre, le pauvre garçon, sans le savoir (non le fait qu’il joue, j’espère pour lui, mais ce qu’il advient de lui dans l’expression sartrienne), se place, lui aussi, « SUR le mode de l’être-en-soi, c’est à dire d’être ce qu’il n’est pas ». Quitte à simplifier (comment faire autrement ?), rappelons qu’on ne peut EXISTER (selon Sartre) sur le mode de l’en-soi, mais qu’une telle tentative (d’exister) ne s’inscrit QUE dans le projet du pour-soi.
Signalons en bref d’autres exemples (j’ai déjà complimenté le Philosophe sur sa floraison d’exemples), le soldat, l’ami (!!), certaines visions (!) de « l’amour » ( platonicien, cosmique etc. et il cite Chardonne, Sarment et Lawrence), la Suzanne de Figaro, la coquette (ah oui !) et un type d’homosexuel (des années 1930, pas celui de la gay-pride).
En conclusion, toujours provisoire, Sartre présente la mauvaise foi comme la menace immédiate et permanente de tout projet humain, mais j’ai l’impression qu’il ne se fait guère d’illusions, déclinant à un moment l’intimité des liens entre sincérité et mauvaise foi (aurait-il lu La Rochefoucauld ?).
J’en profite pour dire qu’il y a quelques formulations intéressantes à propos de l’amour, et que j’ai apprécié sa critique de Proust (qu’il admire et auquel il se réfère souvent !) quant au point de la jalousie en amour (auquel le grand Marcel accorde une priorité que j’ai toujours trouvée fâcheuse, l’une des vraies rares faiblesses dans son œuvre pour moi), et bien sûr quant à la naïveté du « positivisme » proustien qui date d’une autre époque (qui n’a souri en lisant l’imperturbable discours pseudo-scientifique, heureusement agrémenté d’images poétiques, qui mène des fleurs et des abeilles, je crois, jusqu’à Monsieur de Charlus ?). Autre critique, même si elle s’avère nuancée, sur la psychanalyse (relativement récente à la parution de son livre), dont il approuve la méthode d’investigation (il propose d’ailleurs à la fin de son essai de chercher à mieux définir et développer ce qu’il nomme la Psychanalyse Existentielle) mais dont il dénonce les prétentions liées à ses principes.
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