Nicolas Sarkozy est à la fois Premier ministre, ministre de l'Economie, de l'Intérieur, ministre de tout. Comment ne pas voir dans l'omniprésence et l'omnipotence présidentielles une régression démocratique ?
Sur la route de l'Elysée, Nicolas Sarkozy a eu pendant vingt ans un seul objectif : «Les bouffer tous.» La formule lui venait aux lèvres (spontanément, dans les circonstances les plus improbables : «Vous m'entendez, je les boufferai tous», assénait-il à des interlocuteurs ébahis venus l'interroger sur tout autre chose. Pour devenir président, il pensait devoir littéralement avaler ses rivaux et adversaires. Il parviendrait au sommet, pronostiquait-il; parce qu'il avait plus faim que les autres : l'Elysée était hors d'atteinte pour les appétits d'oiseau.
Au début; on a trouvé ça rafraîchissant : leprédécesseur de Sarkozy Jacques Chirac; avait pris l'habitude de se cacher derrière son petit doigt; se cantonnant à la politique étrangère. Enfin un président qui assumait ! Après quatre mois; l'atmosphère tend à devenir étouffante : vite; un jour sans Sarkozy pour reprendre la proposition d'une association ! Car comment ne pas voir dans cette omniprésence; dans cette omnipotence; une régression démocratique ? Sarkozy le cannibale nous ramène à l'âge de pierre de la politique : «Nous avons des institutions et une pratique institutionnelle qui sont, je le dis en pesant mes mots, indignes d'un grand pays comme le nôtre, indignes d'une démocratie», a justement déclaré ce week-end François Bayrou; ajoutant : «Nous, le pays de
Que le chef de l'Etat ait réussi; en l'espace de quelques semaines; à incommoder un Premier ministre naturellement accommo dant tient de l'exploit. François Fillon est arrivé à Matignon en affirmant bien haut la préséance de l'Elysée. Il ne revendiquait qu'un rôle de «copilote». Il est traité comme un vulgaire «collaborateur» par un président qui semble terrorisé à l'idée que le Premier ministre qu'il a choisi; qu'il présentait il y a peu comme un «ami», lui vole ne serait-ce qu'une parcelle de pouvoir (voir l'article de Carole Barjon). A l'Elysée comme à Matignon; on s'efforce de colmater la brèche. Mais Fillon; plus orgueilleux qu'il n'y paraît; est blessé. Il en est réduit à mendier pour exister.
Le sort des ministres n'est pas plus enviable. Ainsi Christine Lagarde. Sarkozy a assuré qu'« elle allait exploser si elle suivait ses conseils». En attendant; la ministre de l'Economie est au bord de l'implosion. Pas seulement parce qu'elle paie sa gaffe sur l'annonce d'un «plan de rigueur» pour la fonction publique. La considérant comme une novice; le président traite directement avec Stéphane Richard; un ami proche qu'il a imposé à Lagarde comme directeur de cabinet; comme il l'avait imposé à son éphémère prédécesseur; Jean-Louis Borloo. C'est le trio Sarkozy-Richard-Pérol (le secrétaire général adjoint de l'Elysée) qui fixe la politique économique de
«Je décide, il exécute» : Sarkozy avait été mortifié que Jacques Chirac le tance ainsi; le 14 juillet 2004. Je décide; ils exécutent : telle est pourtant aujourd'hui sa ligne de conduite. Encore cette formulation fait-elle la part trop belle aux ministres. Car l'Elysée se charge souvent de l'exécution. C'est le sherpa du président; Jean-David Levitte; et non le Quai-d'Orsay; qui a négocié avec le gouvernement kiribatien l'immobilisation du navire qui a provoqué la mort d'un pêcheur breton le 17 août. C'est l'Elysée; et non Bercy; qui a établi les modalités de la fusion Suez-Gaz de France. «Je décide, ils (ou elles) font tapisserie» : voilà qui rend mieux compte du traitement infligé par le président à ses ministres.
Il y a pire. Ce diplomate est formel : ayant croisé récemment plusieurs chefs de gouvernement après qu'ils se sont entretenus avec Nicolas Sarkozy; il affirme que celui-ci n'hésite pas à flinguer Bernard Kouchner devant témoins. «Il est nul, mais il est populaire», répéterait en boucle le président français. Ce diplomate ajoute : «Jamais François Mitterrand n'a émis la moindre reserve sur ses ministres des Affaires étrangères de droite, au moment des cohabitations, devant des dignitaires étrangers.»
Tous des nuls; sauf moi. Si Sarkozy fait tout; c'est bien entendu parce qu'il sait tout faire mieux que tout le monde. Il ne se contente plus de donner des cours de maintien aux ministres français. Il fait la leçon à des responsables d'organismes internationaux. Blâmé; Jean-Claude Trichet; le patron de
Une commission; présidée par Edouard Balladur; a reçu pour mission de préparer une réforme de
Alors ministre de l'Intérieur et numéro deux du gouvernement; Nicolas Sarkozy a effectué en janvier 2004 un voyage à Pékin au cours duquel il a rencontré le président chinois Hu Jintao; longtemps numéro deux. «Je lui ai demandé si ça changeait fondamentalement d'être numéro un», a avoué Sarkozy à sa sortie de l'entretien. C'est une plus lourde responsabilité; a répondu en substance Hu Jintao. Désormais; on sait ce que «ça change» pour Sarkozy d'être devenu le numéro un : il peut s'ébattre sans retenue dans les jardins du numéro deux; du numéro trois; du numéro quatre; etc. L'Etat; c'est lui !
Pourquoi maltraiter à ce point son équipe ? Sarkozy a toujours professé qu'il visait le pouvoir pour l'exercer; non pour en jouir. Il se distingue de présidents comme François Mitterrand ou Jacques Chirac; qui ont rapidement; selon lui; renoncé à réformer le pays irréformable que serait
En revanche, une des règles non écrites de
Quand le nouvel hôte de l'Elysée va-t-il cesser de mettre les doigts dans tous les pots de confiture ? Ce zapping permanent a amené certains commentateurs à parler d ,« hyperprésidence». Est-ce si sûr ? A force de s'éparpiller, Nicolas Sarkozy oublie ce qui faisait pour de Gaulle l'essence du job : la gestion de l'essentiel. Pour nos partenaires européens,
La France compte aujourd'hui deux Premiers ministres, deux ministres de l'Economie, deux ministres de l'Intérieur... A-t-elle un président ? Le temps passé par Sarkozy à montrer sa compassion aux victimes de faits divers montre sa volonté de ne pas se couper du pays. Mais lui demande- t-on de se préoccuper déjà de sa réélection ? En cannibalisant l'ensemble du pouvoir exécutif, alors même que le pouvoir législatif est à ses ordres, Sarkozy gouverne sans entraves. Il lui reste à accomplir sa mue : habiter sa fonction.
(1)«L'Aube le soir ou la nuit», Flammarion
Hervé Algalarrondo Le Nouvel Observateur
1 commentaire:
Encore un qui sort du cadre !! Rappelle-moi le nom du cameraman ??
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