jeudi 21 juin 2007

L'art de valoriser le refoulé et l'innommable.



« J’ai toujours été fasciné par l’art de l’orateur, je l’ai dit : on m’avait parlé de Jaurès, j’avais aimé entendre le vieux Rappoport et Léon Blum, […] la musique méridionale de Vincent Auriol, les voix puissantes d’Edouard Herriot ou de Daladier ; j’aimais sentir comment l’incohérence native de la pensée et des émotions avait été maîtrisée, réduite au silence pour que s’élève une voix qui était pure humanité selon mon goût. L’influence exercée sur l’auditeur était double : il ne se contentait pas d’entendre et d’apprécier les paroles prononcées ; il entendait aussi, grâce au raisonnement intérieur, les pensées et les émotions tues, et saisissait la valeur de leur absence. Car cette parole vraiment éducative ouvrait au plus large public le domaine de l’ironie (qui est la vraie faculté politique), de la réticence, de l’insinuation, de l’allusion, du sourire. La parole de Hitler, au contraire, était la quintessence de l’émotion brute. A la différence de l’orateur démocratique, Hitler, par sa parole, la plus travaillée qui fût, voulait donner à son public l’illusion qu’il ne faisait que lâcher la bride aux passions naturelles – rancune, angoisse, colère – que chacun porte en soi. Mais ceux qui entraient dans le charme ou la magie de son discours reconnaissaient par là même que Hitler était, par miracle, le seul capable de traduire en mots ces émotions habituellement muettes ou inarticulées, voire interdites par les règles de la vie civile ; et ils s’attachaient d’autant plus étroitement au Führer qu’ils voyaient en lui l’homme exceptionnel apte à leur restituer ce qu’ils avaient de plus intime, qui sans lui aurait été condamné au silence. »

(Pierre Pachet, Autobiographie de mon père, Librairie générale française, Le Livre de poche, coll. Biblio, 2006, pp. 147-148)

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