Par Clotaire Tegang Ledoux (Douala)Le ton d'un message
Aux grands maux les grands remèdes. La situation que notre pays a connu pendant 96 heures la semaine dernière et qui ont émaillé la vie nationale méritait ce traitement de cheval. Tout semblait se passer comme si le Cameroun n'avait plus ni loi, ni constitution, comme si ce bateau qui coulait à pic n'avait pas de capitaine.
Paul Biya était attendu au tournant, il est venu et a parlé car l'heure était bien grave et le mal profond. Respectueux de la légalité républicaine, Paul Biya a annoncé aux "apprentis sorciers" qu'il userait de tous les moyens légaux pour ramener l'ordre. Pour beaucoup de Camerounais il s'agissait en fait d'une déclaration de guerre.
Les moments chauds qui ont secoué le pays
Une onde de choc vient de parcourir le pays du 25 au 28 février, certaines villes du pays ont connu des scènes dantesques et d'insurrection dont l'origine est le mot d'ordre de grève lancé par les 14 organisations professionnelles des secteurs du transport terrestre urbain et interurbain. Pourtant sur le terrain personne ne semblait véritablement maîtriser la situation, surtout plusieurs de ces syndicalistes ont levé le mot d'ordre de grève, d'autres dés le dimanche 24 février, veille du jour fatidique où tout a été déclenché. Aussi bien à Douala,Yaoundé, Bafoussam, Bamenda, Kumba, Nkongsamba, Dschang, Mbanga, Loum, Buéa, Njombé, la grève a été largement suivie non seulement par les propriétaires des chauffeurs taxis, motos taxis, bus, camions et véhicules à usage personnel, mais aussi par des commerçants et la population , comme dans un mouvement synchronisé. Quel que soit la ville, d'un quartier à l'autre, les messages portés sur des pancartes résumant en quelque sorte les doléances des manifestants étaient les mêmes : « on a faim », « non à la vie chère, trop c'est trop » « Paul Biya la jeunesse avant la constitution », « non à la vie chère et à la clochardisation des Camerounais », « nous disons non à la modification de la constitution », « non a la fermeture des radios et télévisions privées pour museler la liberté d'expression ».
Tout s’est passé comme si à travers le pays les manifestants s’étaient donné le mot. Dés les premières heures de la matinée du 25 février, des barricades se sont dressées un peu partout pour empêcher les voitures et les motos de circuler ; les populations adhérant au mot d'ordre et restant bloquées chez elles car le pays était a feu. Les flics ont dans un premier temps lancé des gaz lacrymogènes avant de tirer des coups de semonce en l'air et à bout portant, histoire de dissuader les manifestants déterminés. Une situation qui a fait monter l'adrénaline et le face-à-face prit une tournure dramatique avec plus d'une vingtaine de morts, des blessés graves, des arrestations et beaucoup d'acte de vandalisme perpétrés sur des édifices privés et publics pendants ces 4 jours.
Le Cameroun a revu les images des années 90 et 92. Dans la foulée ils se sont attaqués respectivement aux sièges des mairies, des impôts, des sous-préfectures, des préfectures, des commissariats, des prisons, des stations services, des banques...Des commerces ont été saccagés, pillés et brûlés pour la plupart à l'aide des cailloux et de gourdins. Un scénario qui rappelle tristement la situation récente du Rwanda et du Kenya. Aujourd’hui, il est incongru de parler de grève mais plutôt d'une grave crise sociale.
La paix : âme au pouvoir
Généralement présenté comme un havre de paix en Afrique, voir même dans le monde, le Cameroun a subitement plongé pieds et poing liés dans les violences qui ont remis en cause cette particularité artificiellement trompeuse. La preuve vient d'être donnée : paix dont se vantent les autorités publiques est en fait la conséquence d'un consensus social. La paix sociale sonne comme la résolution de tous les Camerounais de bonne volonté de vivre dans l'harmonie malgré leur différences.
Malheureusement, c'est aussi un peuple capable de se soulever pour protester contre les abus répétés, capable de manifester son mécontentement lorsqu’il est a bout de sa patience car, un peuple qui perd confiance en ses dirigeants qui voit son avenir compromis sans un espoir de réaménagement, qui suspecte la mauvaise foi de la part des décideurs peut devenir redoutable ; il suffit d'une étincelle pour que cette poudrière explose.
Le Cameroun est justement cette poudrière susceptible de péter à tout moment pour une raison, à une autre. Cette explosion emportera définitivement les rêveries illusoires d'une paix fictive à laquelle on s'accrochait comme à une boudée de sauvetage, on comprendra alors quel n'était qu'un exutoire de défoulement pour donner la réflexion des difficultés réelles des Camerounais. La déstabilisation de la paix ne tient qu’à un fil tant que le gouvernement et le pouvoir s'évertueront à perpétuer le régime des inégalités, à couvrir les prévaricateurs du patrimoine public, à martyriser une jeunesse oisive, l'histoire gardera des repères indélébiles
Le peuple a retroussé les manches conformément à une haute instruction fortement médiatisée à l’époque, c’est au peuple qu'on a promis le bout du tunnel, c’est le peuple qui a consenti d'énorme sacrifices pour l'atteinte du point d'achèvement PPTE porteuse de tous les espoirs, le peuple a été avisé du retour a la croissance. A l'heure du bilan le peuple voit ses espérances s'envoler en fumée. Que sont devenus tous ces slogans ? Au pays des illusions perdues, où revendiquer est une offense nous avons encore nos yeux pour pleurer, alors qu'attendons nous !
Clotaire Tegang Ledoux
Plus de 100 morts lors des violences
AFP
Le chiffre est avancé par l'ONG la Maison des droits de l'Homme alors que le gouvernement n'a fourni aucune donnée officielle après les émeutes de la semaine dernière.
Plus de 100 personnes ont été tuées au cours des violences de la semaine dernière au Cameroun, selon la Maison des droits de l'Homme, alors que le gouvernement n'avait toujours pas mercredi communiqué de chiffres officiels sur ces émeutes.
L'AFP avait recensé au moins 17 morts en regroupant des témoignages crédibles.
"On peut déjà dire qu'il y a plus de 100 morts. Les informations remontent vers nous chaque jour et nous continuons à les affiner", a affirmé à l'AFP Madeleine Afité, responsable de l'organisation affiliée à la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).
Selon elle, il sera néanmoins très difficile d'arriver à un "bilan précis" en raison "d'opérations d'intimidation menées par le pouvoir".
Les troubles ont eu pour origine l'augmentation du prix de l'essence et des produits de première nécessité ainsi que le projet de révision de la Constitution permettant à Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, de briguer un nouveau mandat en 2011.
(AFP)