Par Sébastien Ledoux (Enseignant et chercheur)
Nous voici donc arrivés au stade infantile du devoir de mémoire: comment peut-on refuser "ce cadeau de la mémoire" de milliers d’enfants morts dans la Shoah, s’offusque aujourd’hui Nicolas Sarkozy. Déjà, l’intention culpabilisante se fait jour. Le refus de satisfaire la demande de notre président ne peut qu’exprimer une belle et honteuse ingratitude. Depuis quelques décennies, l’instauration du devoir de mémoire, comme nouvelle "religion civile", est présentée par l’Etat comme un moyen d’éduquer les citoyens. Qu’il s’agisse des anciens déportés ou des anciens esclaves, leur souvenir aurait pour fonction de lutter contre le racisme et l’antisémitisme. Le devoir de mémoire est également mis en avant par les pouvoirs publics pour favoriser un sentiment d’appartenance à la communauté nationale. La reconnaissance des mémoires plurielles permet en effet d’intégrer -du moins symboliquement- diverses communautés dans une histoire commune. Le travail de mémoire n'est pas étranger à l'école Les journées de commémoration et les multiples inaugurations de lieux de mémoire constituent autant de pratiques rituelles visant, pour l’Etat, à rassembler les individus du temps présent. Il faut préciser que cette politique de mémoire a d’abord et avant tout été suggérée par les diverses communautés, du moins leurs porte-parole qui n’ont cessé de demander la reconnaissance de leur mémoire dans l’espace public. Mais qu’en est-il de la nouvelle proposition du chef de l’Etat? Quelles fonctions peut-elle remplir? La reconnaissance de la mémoire de la Shoah dans la société française fait partie d’un processus historique depuis longtemps engagé. L’école s’est investie de manière très forte dans un travail de mémoire sur ce génocide. Des interrogations justifiées sont d’ailleurs apparues pour savoir de quelles manières le sujet devait être abordé dans les salles de classe. Le risque de transmettre un sanctuaire creux En en faisant un temps d’enseignement à part, centré exclusivement sur la souffrance des victimes, ne risque-t-on pas en effet de transmettre un sanctuaire vide de toute intelligibilité du passé? Concernant la fonction sociale d’une politique de mémoire, le souci de réparation symbolique de la part de l’Etat vis-à-vis de la communauté juive a abouti au discours du président Chirac en 1995. Il reste évidemment l’argument de la nécessaire lutte contre l’antisémitisme toujours d’actualité: il faudrait former les esprits dès le plus jeune âge pour éradiquer toute pensée et tout acte à l’encontre les juifs, au sein de notre France multiethnique. La relation de cause à effet entre enseignement de la mémoire de la Shoah et baisse de l’antisémitisme, a toujours été espérée et revendiquée par la communauté juive auprès des différents gouvernements depuis une trentaine d’années. Souscrivant à cette analyse les ministres successifs de l’Éducation nationale ont eux-mêmes fait du devoir de mémoire de la Shoah un instrument majeur de la lutte contre l’antisémitisme à l’école. L’efficacité de cet instrument demeure cependant -malheureusement- tout à fait hypothétique. La recherche à tout prix du"symbolique" Plutôt qu’une énième injonction visant à prescrire dans les moindres détails la transmission d’un savoir, laissons aux enseignants la liberté pédagogique qu’ils sont en droit d’assumer entièrement. La recherche à tout prix du "symbolique" ne peut tenir lieu de principe éducatif. L’acte du pédagogue se nourrit sans cesse d’un questionnement personnel sur l’objet qu’il doit transmettre. Gardons en mémoire que l’école de la République a formé des générations de citoyens sur la pertinence d’un tel positionnement.
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