vendredi 15 février 2008

Enseignement de la Shoah en CM2 : la presse française s'interroge

Risque d'"électrochoc émotionnel" selon Libération, "proposition effarante" pour L'Humanité, "diktat que rien ne vient expliquer" estime l'Est républicain: la décision de Nicolas Sarkozy d'associer chaque enfant français à la mémoire d'un enfant victime de la Shoah fait vivement réagir les éditorialistes. Nombre d'entre eux font le parallèle avec "la malencontreuse expérience de la lecture obligée de la lettre de Guy Môquet".

Après l'annonce de la décision de Nicolas Sarkozy d'associer chaque élève de CM2 à la mémoire de la Shoah, la presse française a vivement réagi, de façon pour le moins circonspecte, y voyant au mieux "une intention louable" et au pire "une proposition effarante".
Dans Libération, Annette Lévy-Willard estime qu'"un président de la République, même démocratiquement élu, n'a pas vraiment légitimité à faire des cours d'histoire télécommandés". Faisant un parallèle avec "la malencontreuse expérience de la lecture obligée de la lettre de Guy Môquet", elle observe que "sans en débattre avec les historiens, les enseignants et surtout la communauté juive, (Nicolas Sarkozy) décide d'imposer maintenant, et à des enfants de 10 ans, ce principe contesté et simpliste d''électrochoc émotionnel'".

"Les recettes de la téléréalité"

L'Humanité, sous la plume de Maurice Ulrich, s'indigne de cette proposition "proprement effarante": "On n'invite pas impunément des milliers d'enfants à vivre avec des fantômes (...) C'est faire entrer dans l'âme la culpabilité et la mort".
Cette proposition, qui "apparaît pour l'instant assez mal ficelée" selon Francis Lachat dans Le Courrier picard, est "une répétition de la lettre de Guy Môquet, alors qu'éduquer ne saurait être affaire d'émotion, comme l'ont rappelé enseignants et psychologues", note Jean-Marcel Bouguereau dans La République des Pyrénées.
Même son de cloche au Progrès, où Francis Brochet explique que c'est "comme si l'on plaquait sur la Shoah les recettes de la téléréalité, où l'on surjoue chaque sentiment, dans l'excès et l'exhibition, de peur d'ennuyer". "Attention: il est des sujets trop sensibles pour qu'on en fasse trop", met-il en garde.
"C'est en aidant la jeunesse à maîtriser ses sentiments et en enrichissant sa connaissance de l'histoire, et de l'actualité, que l'on participe à la construction de la citoyenneté. Pas en faisant parrainer à ces gosses un enfant mort", écrit Daniel Ruiz dans La Montagne.

"Surcharge
affective"

Michel Vagner (L'Est républicain) est moins acerbe: "Même si l'intention du président (...) est louable, les instituteurs n'avaient pas besoin de ce rappel, ni de ce diktat que rien ne vient expliquer. Ils savent comment aborder le génocide, en classe, collectivement, sans y mettre de surcharge affective."
Bernard Revel, de L'Indépendant du Midi, est plus compréhensif: "Mettre des noms à la place de chiffres abstraits aide à mieux comprendre". Avant de préciser aussitôt que "la démarche doit être soutenue par tout un ensemble pédagogique".
L'éditorialiste de la République du Centre, Jacques Camus, est le plus critique: "Nicolas Sarkozy devient inquiétant". Son initiative "semble relever de ces soudaines lubies élyséennes plus spectaculaires que réellement réfléchies", observe-t-il.
Plus modéré, Patrice Chabanet (Le Journal de la Haute-Marne) juge que "l'idée de Nicolas Sarkozy sur le devoir de mémoire n'est pas critiquable sur le fond mais reste discutable sur la forme". "On peut légitimement se demander si des enfants de 10-11 ans ont les outils de la connaissance nécessaires pour prendre la mesure du génocide", s'interroge-t-il.

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