D'autres préfèrent choisir un dirigeant qui s'engagerait solennellement - lui faudra-t-il jurer sur l'honneur, la main sur le buste de Jean Jaurès ? - à ne pas concourir à l'Elysée. Le débat n'est pas seulement doctrinal, puisqu'au moins deux candidats - Pierre Moscovici et Julien Dray - se sont déjà officiellement mis sur les rangs, tandis que Claude Bartolone, lieutenant de Laurent Fabius, a fait valoir qu'il avait le "profil" pour occuper le poste. Sans parler de tous ceux qui, selon une expression actuellement très en vogue au PS, affirment "ne rien exclure". Jusqu'à présent, le casting socialiste a largement éclipsé les débats consacrés à la rénovation du parti, c'est-à-dire la vision qu'il doit avoir de la société française.
Paradoxalement, les adeptes de la "déprésidentialisation" du PS contribuent à alimenter l'idée fixe que constitue la perspective du printemps 2012. Strauss-kahniens, fabiusiens, emmanuellistes, partisans d'Arnaud Montebourg et représentants de la gauche du PS, mais aussi François Hollande lui-même, s'accordent à considérer qu'il faut éviter un "choc Royal-Delanoë". Selon le député strauss-kahnien de Paris Jean-Christophe Cambadélis, un tel affrontement au sommet se traduirait à coup sûr par "une querelle de petites phrases où les deux diront à peu près la même chose, ne se distingueront que sur des accents, et la question de la rénovation ne sera absolument pas posée".
"Nous avons un problème avec le Parti socialiste, c'est la maladie des écuries présidentielles", renchérit Arnaud Montebourg. Selon eux, un congrès de "rénovation" serait tué dans l'oeuf par un congrès de "désignation", car une guerre des chefs prématurée serait mortifère, comme le suggère le fâcheux précédent du congrès de Rennes, en 1990. On pourra objecter que le PS ne s'est installé au pouvoir que lorsqu'il disposait à sa tête d'un leader présidentiable - François Mitterrand puis Lionel Jospin -, ce qui ne l'empêchait pas de devoir composer avec des opposants actifs. Et que l'on voit mal pourquoi le fait de choisir d'emblée un dirigeant disposant d'une stature de chef d'Etat devrait paralyser le PS au point de lui interdire de se doter d'une ligne politique clairement affirmée.
De son côté, le camp des "présidentiables", qui se plaint d'être victime d'un faux débat, use de circonvolutions pour afficher la volonté de son champion de devenir premier secrétaire. M. Delanoë active ses réseaux tout en se réfugiant derrière des formules subliminales, alors que Mme Royal se retranche derrière un "questionnaire participatif" pour lancer ce qui apparaît comme une campagne interne en bonne et due forme.
Sans doute ne faut-il pas sous-estimer la dimension tactique de ces prises de position, qui émanent, dans un cas, de responsables devenus - provisoirement, espèrent-ils - orphelins d'un présidentiable installé en pole position pour 2012 - Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius - et, dans l'autre, d'animateurs d'écuries constituées (Ségolène Royal) ou en voie de l'être (Bertrand Delanoë). De même, faut-il aussi pointer le fait que ces querelles, parfois byzantines, trouveraient moins d'espace pour se développer si les débats au sein du PS s'organisaient sur des clivages liés à de réelles divergences, par exemple sur les questions économiques et sociales, voire environnementales.
PRIMAIRES "À L'ITALIENNE"
Il n'en reste pas moins que si le PS "ne pense qu'à ça", c'est parce qu'il semble avoir un réel problème avec la prééminence de l'élection présidentielle dans le système politique français. Alors qu'il a décidé, depuis 1995 et à l'initiative de Lionel Jospin, de faire élire son premier secrétaire par l'ensemble des adhérents, le PS ne s'est, de facto, toujours pas conformé à la réalité selon laquelle la présidentielle est la mère de toutes les élections.
A ce propos, Gérard Grunberg, directeur de recherches au CNRS et à Sciences Po, n'hésite pas à évoquer la "schizophrénie" du Parti socialiste. Bien que l'élection du président de la République au suffrage universel lui ait permis d'imposer son hégémonie au sein de la gauche et d'accéder au pouvoir, le PS ne s'est pas forgé sous l'ère Mitterrand une véritable pensée institutionnelle. L'instauration en 2001, à l'initiative de Lionel Jospin, alors premier ministre, du quinquennat et de l'inversion du calendrier aura tenu de l'acte manqué. Cette accentuation de la présidentialisation du régime, introduite sans qu'un débat interne n'ait eu lieu, a installé le PS dans une ambiguïté à l'égard du jeu institutionnel.
Selon M. Grunberg, perdure chez les socialistes la représentation mentale d'un parti parlementaire et non pas présidentiel, c'est-à-dire capable de repenser son rapport à l'opinion publique. Or, estime-t-il, "plus le processus de désignation du candidat sera largement ouvert, plus l'adéquation entre ce candidat et son électorat sera grande, et plus la mobilisation de ses électeurs sera forte". Dans ces conditions, l'organisation de primaires "à l'italienne", ouvertes aux sympathisants de gauche, pourrait constituer une solution susceptible de sortir par le haut de la "schizophrénie" ambiante. Cette option, qui semble faire l'objet d'un consensus, consisterait à organiser au sein de l'électorat de gauche une compétition entre le champion désigné par le PS et d'autres compétiteurs non socialistes afin de choisir un candidat unique dès le premier tour de la présidentielle. Ce qui imposerait de convaincre communistes et Verts de concourir, vraisemblablement pour l'honneur.
De telles primaires accentueraient la présidentialisation du Parti socialiste, qui, assure Gérard Grunberg, a intérêt à sauter le pas. "Ce parti doit oser paraître ce qu'il est, c'est-à-dire assumer le fait qu'il est un grand parti présidentiel, et donc rompre avec les ambiguïtés institutionnelles du modèle d'Epinay", écrit le politologue en conclusion d'un article paru dans le n° 120 de la revue Commentaire. On ne saurait être plus clair.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire